La bande dessinée «Memoria», en avance sur son temps

«Joker», de Benjamin Adam, sortira en avril.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «Joker», de Benjamin Adam, sortira en avril.

Quelle belle surprise, en préparant les sorties bédé de la rentrée hivernale 2020, que de trouver dans la liste cette réédition de Memoria, courte série publiée originellement en deux tomes par Les 400 coups il y a de cela 20 ans. Pratiquement introuvable aujourd’hui, l’œuvre a été regroupée en un seul album par les Éditions La Pastèque, qui donnent une seconde vie à des albums importants de notre courte histoire de la bédé.

Une bédé qui raconte l’histoire de Benjamin Blake, un chauffeur de taxi qui connaît la ville de Memoria, un genre de New York des années 1930, par cœur. Un jour, il prend une cliente qui oublie, sur le siège arrière, une mallette qui va changer la vie de Blake, qui apprend que lui et tous les citoyens de Memoria sont les figurants d’un monde virtuel. Un thème, donc, qui a traversé le temps.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le dessinateur et illustrateur Jean-Paul Eid dans son atelier

Commençons par dire que le contexte n’était pas aussi favorable à l’époque, raconte le dessinateur et illustrateur Jean-Paul Eid. « Le premier tome a été publié en 1999, et c’était ma première collaboration avec Claude [Paiement], avec qui j’ai fait, plus tard, La femme aux cartes postales. Pour se remettre dans le contexte, c’était une période assez creuse de l’histoire de la bédé québécoise. Le magazine Croc venait de fermer ses portes, et il y a toute une génération de dessinateurs qui a été aiguillée vers l’humour. Mais moi, je sentais que j’avais encore des croûtes à manger et je ne voulais pas faire que quelques pages, ici et là, dans des magazines. »

À l’époque, juste trouver un éditeur capable de porter un projet de cette envergure relevait d’une tâche presque impossible. Et pas question d’aller voir en Europe. « Il n’y avait pas encore de ponts entre les éditeurs européens et les auteurs québécois. On considérait la bédé québécoise comme étant amatrice et bancale. Comme Claude et moi voulions faire un projet plus ambitieux — il écrivait pour le théâtre, entre autres, et voulait s’essayer à quelque chose de plus substantiel —, on s’est donc mis à deux pour réaliser ce projet en se disant que, le jour où il y aurait un éditeur québécois en mesure d’allumer sur un tel projet, qui n’est pas de l’humour ni de la bédé jeunesse, on serait là. On a donc reçu une bourse, on s’est lancés et on est allés voir Les 400 coups, qui éditaient de la bédé du genre 7 à 77 ans, et ils nous ont dit que c’était le projet qu’ils attendaient ! »

Et Memoria a eu droit, pour l’époque, à un traitement qui en dit long sur le sérieux avec lequel on traitait le projet : une impression en couleur. « C’était tellement onéreux d’imprimer en couleur qu’un des associés de notre éditeur, qui était imprimeur, nous donnait du temps de presse entre deux contrats. C’est pourquoi il a fallu presque un an avant que notre album sorte ; la réalité de l’époque faisait qu’il était imprimé à temps perdu ! Le deuxième volume est sorti quatre ans et demi après le premier, ce qui est tout à fait suicidaire quand tu travailles sur une série. »

Une série qui a connu, somme toute, un succès critique, mais pour laquelle le lectorat n’était peut-être pas prêt. « La réception a été excellente, surtout par le très petit milieu journalistique qui osait parler de bédé à l’époque. Ma tête ne passait presque plus dans la porte [rires] ! C’est comme si ce projet avait décomplexé le monde de la bédé québécoise. »

Et pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de rééditer Memoria ? « Les droits nous sont revenus, à Claude et à moi, et nous étions libres d’en faire ce que nous voulions. Nous sommes allés voir La Pastèque, avec qui nous travaillions déjà, et la réponse a été immédiate et positive. »

Cette réédition donne donc à Memoria, la chance inouïe de rattraper un rendez-vous manqué il y a 20 ans. Et c’est une excellente idée !

Quelques nouveautés à surveiller au cours des prochains mois

Traverser l’autorouteJulie Rocheleau et Sophie Bienvenu (La Pastèque, janvier)

Hey June, Fabcaro et Evemarie (Delcourt, janvier)

 

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet. Tome 4 :Tombé pour la France (Van Liemt et Zidrou,
janvier)

Les dominants, tome 1, Sylvain Runberg et Marcial Toledano (Glénat, janvier)

 

Muertos, Pierre Place (Glénat, janvier)

Far Out, tome 3, Gautier Langevin et Olivier Carpentier (mars)

Extases. Tome 2 : Les montagnes russes, Jean-Louis Tripp (Casterman, mars)

J’irai cracher sur vos tombes (d’après Boris Vian), Jean-David Morvan, Rey Macutay, Rafael
Ortiz
, Scietronc (Glénat, mars)

Joker, Benjamin Adam (La Pastèque, avril)

C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle (Pow Pow, avril)

Memoria

Jean-Paul Eid et Claude Paiement, La Pastèque, Montréal, 128 pages

 



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