«Askja»: panique à Reykjavik!

Chez Ian Manook, le paysage est plus qu’un décor. Il joue un rôle primordial.
Photo: Albin Michel Chez Ian Manook, le paysage est plus qu’un décor. Il joue un rôle primordial.

Ian Manook écrit beaucoup. Après la série des Yeruldelgger et celle de Roy Braverman, revoici Kornelius Jakobson, qui menait l’enquête dans Heimaey. Et, un peu comme si Patrick Manoukian n’arrivait pas à oublier son passé de rédacteur de guides de voyage, nous voici revenus en Islande après avoir définitivement quitté les steppes mongoles en passant par le Mato Grosso, les Appalaches profondes et l’Alaska primitif et sauvage. L’Islande, donc, et ses paysages lunaires absolument stupéfiants. On insiste parce que, chez Manook, le paysage est plus qu’un décor et joue même toujours un rôle primordial.

Un imbroglio de catégorie supérieure

 

Kornelius, le grand troll, mène ici une enquête qui sort de l’ordinaire sur le plateau moussu de l’Askja : le corps de la victime a disparu, tout comme d’ailleurs le seul témoin. L’équipe technique trouve du sang partout, même si on a cherché à faire disparaître toutes les traces du crime, mais pas de cadavre, pas d’empreintes. Rien, sinon l’ADN et même le sperme de Kornelius, qui a eu une aventure avec la voisine sur la scène de crime…

 

Quand le même genre de situation se reproduit à quelques variantes près — pas de cadavre, du sang qu’on a cherché à faire disparaître et un témoin qui a pris le large — dans une autre enquête menée par l’équipe de Kornelius, on devine que quelque chose ne va pas. D’autant plus que tout cela se passe alors qu’un sniper se met à tirer sur des sites fortement fréquentés par les touristes, un peu partout dans le pays. Bref, c’est la panique à Reykjavik !

Il s’avérera — même si on ne vous dévoile rien d’important ici — que cette histoire de tireur d’élite est beaucoup plus menaçante que les deux autres enquêtes rocambolesques où Manook et ses personnages s’amusent à mener le lecteur (et la police !) en bateau. Ici, on fait face à un véritable coup monté aux implications politiques extrêmement importantes. Une journaliste en paiera d’ailleurs le prix et, cette fois, oui, on retrouvera son cadavre.

Kornelius et son équipe parviendront de justesse à se sortir de cet imbroglio de catégorie supérieure, mais ils y laisseront des plumes. Beaucoup de plumes. Par contre, le policier verra s’ouvrir de nouveaux possibles devant lui puisqu’il retrouvera des personnes qu’il avait cru à jamais disparues de sa vie. Peut-être en saurons-nous plus un jour puisque Manook a pris l’habitude de développer ses histoires en trilogies…

Les fans de Manook, comme tous les autres d’ailleurs, retrouveront ici ses manies et ses tics, qui deviennent à la longue un peu agaçants ; comme cette façon de titrer les chapitres avec les derniers mots qui mettent fin audit chapitre. Par contre, son humour se raffine avec les années. Ici, par exemple, il fait intervenir deux policiers surnommés Komsi et Spinoza qui agrémentent le récit de citations tirées de philosophes classiques avec, souvent, énormément de pertinence et de drôlerie. Bref, un bon Ian Manook déroutant et surprenant. Comme à l’habitude.

Extrait d’«Askja»

Il vérifie tout une dernière fois, démarre le moteur, libère le frein à main et tire le levier de vitesse sur Drive. La voiture hésite. Puis rien. La roue avant gauche bute sur une pierre qui, sans accélération, suffit à la retenir. Il peste et jure contre le destin et insulte le ciel, se résout à s’agenouiller pour dégager la pierre, mais le poids de la voiture la bloque. Il décide de reculer la voiture de quelques centimètres pour dégager le passage, mais quand il se relève, le visage de la femme qui se réveille et cherche à comprendre ce qui se passe est collé à la vitre. Il hurle de peur et de surprise, il se jette par terre et frappe de toute la force des deux pieds contre la pierre qui cède et glisse entre les roues. Aussitôt la voiture bouge et cahote vers le précipice. Lui roule de côté pour éviter d’être emporté, et la dernière vision qu’il a de la Toyota, c’est le regard terrorisé de la femme derrière la vitre qui hurle et ouvre sa portière. Il bondit sur ses pieds et, de rage contre celle qui ne veut pas mourir, d’un violent coup d’épaule, il claque la portière sur les doigts de la journaliste au moment même où la voiture bascule dans le vide.

Askja

★★★

Ian Manook, Albin Michel, Paris 2019, 427 pages

 



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