«L’ogre et l’enfant»: briser le silence

«L’ogre et l’enfant», c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachement, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.
Photo: Timothy A. Clary Agence France-Presse «L’ogre et l’enfant», c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachement, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.

La petite Alice fuit la maison pour échapper à la violence de sa mère et se réfugie dans la voiture rouge garée tout près de chez elle. Elle répète le manège chaque fois que la vie à la maison est insoutenable. Un jour, Nathan, son voisin, embarque dans sa voiture pour aller rejoindre une amie et découvre en chemin la petite recroquevillée, apeurée, tout au fond du banc. Entre la responsabilité de la reconduire chez elle et l’urgence de la sauver de la maltraitance, le choix est clair. Mais si on l’accusait d’enlèvement ?

Magali Laurent, auteure des séries « B.O.A » et « Billy », délaisse ici les dystopies et le fantastique pour plonger dans un récit psychologique exploitant les thèmes délicats de la maltraitance et de la responsabilité civile. L’ogre et l’enfant, c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachement, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.

 

L’ogre, c’est ce mal, bien sûr, la peur qui gruge la petite Alice de l’intérieur, qui l’empêche de briser le silence. C’est aussi cette mère, ce bourreau, ce monstre qui semble plus fort que tout. Et Nathan se reconnaît quelque part dans ce mal qui dévore l’intérieur, lui qui se croit responsable de la mort de sa propre mère survenue lorsqu’il était petit.

L’auteure parvient assurément ici à mettre en scène des personnages forts, entiers et crédibles. On s’attache à la petite Alice, tremblante, fragile et candide qui voit en Nathan un prince sauveur. Aussi à cet adolescent perturbé, mais sensible, à la fois abattu et courageux qui fera tout pour sortir l’enfant des mains de l’ogre. La haine, la violence et la folie de la mère, tout comme la culpabilité éprouvée par le héros, nous parviennent ainsi avec intensité, ce qui contribue à maintenir l’intérêt de la lecture.

Une formule lourde

 

Si l’émotion ressentie par les personnages est rendue avec finesse, que la tension de l’histoire est maintenue grâce à une quantité de rebondissements, la forme du roman et l’abondance d’histoires parallèles, de pistes qui viennent se greffer à la trame principale tendent à alourdir l’ensemble. Il y a d’abord ce récit à deux voix, celui d’Alice et celui de Nathan dont les pensées, les impressions sont rapportées tour à tour par un narrateur. Cette façon de faire tout à fait valable aurait suffi à l’histoire, mais Magali Laurent ajoute une troisième voix, celle de Nathan enfant dont le drame, nourri par l’ogre qui l’habite depuis longtemps, est raconté par le même narrateur.

Avec ce troisième récit, c’est tout le passé du héros qui nous est livré : l’histoire de son père qui avait une maîtresse, la vérité sur la mort de sa mère, la famille reconstituée après le décès, les non-dits qui brouillent le quotidien, et plus encore. Tout cela est narré en parallèle avec l’histoire d’horreur vécue au présent par la petite. Bien que le sujet exploité soit pertinent et singulier, l’auteure manie maladroitement la fusion entre les récits qui restent au final trop chargés.

Extrait de «L’ogre et l’enfant»

Elle a crié. Elle a eu peur. Toutefois, elle sait qu’elle peut lui faire confiance, parce que c’est un chevalier. Le prince de son quartier. Tapie sur le plancher, elle sent les vibrations reprendre. Ils sont de nouveau sur la route. Alice tente un coup d’oeil par-dessus son épaule. L’ecchymose sur sa joue lui fait mal, mais ce n’est pas important. Elle se redresse un peu plus et regarde par la fenêtre. Est-ce qu’il la ramène chez elle ? Elle espère que non, sans quoi elle devra encore fuir, seule, ce qui la terrorise. Les nuits peuvent être effrayantes. Elles sont remplies d’ombres. La fillette se rappelle avoir eu très froid la dernière fois qu’elle est partie de chez elle. Les policiers l’ont trouvée peu de temps après. Sa mère s’est montrée très gentille en leur présence, très souriante, presque exemplaire, mais à la maison, ça a été une tout autre affaire.

 

L’ogre et l’enfant

★★★

Magali Laurent, Bayard, Montréal, 2019, 240 pages

 



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