«La terreur et le sublime»: l’inévitable rendez-vous

La série de parties de go, en 2016, entre le Sud-Coréen Lee Sedol, champion mondial, et l’intelligence AlphaGo.
Photo: Ahn Young-joon Associated Press La série de parties de go, en 2016, entre le Sud-Coréen Lee Sedol, champion mondial, et l’intelligence AlphaGo.

« La lecture et les propos de ce livre ont probablement créé plus de terreurs que de sublime en vous, lecteur. » L’auteur ne saurait si bien écrire. Malgré son invitation à embrasser la technologie, La terreur et le sublime, d’Ollivier Dyens, causera surtout des démangeaisons chez le lecteur allergique aux promesses illimitées de l’intelligence artificielle. L’essai s’avère toutefois une réflexion nécessaire sur l’intrication probablement inévitable des cognitions naturelles et algorithmiques.

Selon l’auteur, il est dommageable de s’inquiéter de la montée en puissance des algorithmes d’apprentissage machine. Il faut plutôt s’efforcer de composer une « intelligence humaine et artificielle » (IHA) qui allie les forces de chacun de ses éléments : la précision de l’intelligence machine et la créativité et la sensibilité de l’intelligence humaine.

Pour Ollivier Dyens, l’être humain a tout à gagner à orchestrer cette alliance. S’appuyant sur le redressement quantifiable de la pauvreté, de la santé ou de la paix des dernières décennies, le professeur au Département des littératures de langue française de l’Université McGill argue que la technologie rend l’humanité heureuse et épanouie.

Il illustre sa thèse à l’aide de la série de parties de go, en 2016, entre le Sud-Coréen Lee Sedol, champion mondial, et l’intelligence AlphaGo. L’arbre des coups possibles dans un duel de go croît si rapidement que, jusqu’alors, l’être humain conservait sa supériorité sur la machine. AlphaGo fit cependant voler en éclats cet état de fait en remportant quatre des cinq affrontements. Son coup 37 du deuxième match bouleversa la communauté par son immense originalité et sa grande qualité. Jamais un joueur humain n’aurait poussé ainsi sa pierre sur le goban.

Toutefois, de façon plus exceptionnelle encore, Lee Sedol innova dans la défaite. Son mouvement 78, dans le quatrième match, subjugua tous les observateurs par son originalité comparable au coup 37 de son adversaire. AlphaGo ne sut pas comment répondre à ce mouvement et perdit la manche. Voilà comment une IHA peut repousser les frontières de l’humain, dit l’auteur.

Malheureusement, Dyens ne fait qu’effleurer le problème de la possession et de la conception des outils de l’intelligence artificielle. Il souligne certes la nécessité que ces moyens ne servent pas des intérêts mercantiles, mais il ne propose aucune piste pour s’en assurer.

Or, les algorithmes dépendent d’un large groupe de programmeurs qui doivent y investir du temps et, on imagine, en retirer un salaire. L’implémentation de ses fruits nécessite des appareils d’une complexité surhumaine et dont la fabrication requiert des composantes et des matériaux rares, que seule une grande entreprise peut rassembler. Le déploiement à grande échelle des avancées les plus frappantes de l’intelligence artificielle par Google, Amazon, Facebook et Apple n’est pas fortuit.

D’ailleurs, AlphaGo est une création de Google DeepMinds.

La terreur et le sublime

★★★ 1/2

Ollivier Dyens, XYZ, Montréal, 2019, 240 pages

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