Olivier Adam de retour en zone périphérique

Dans Une partie de badminton, Olivier Adam pose à nouveau sa loupe sur la Bretagne et enrobe ses personnages du souffle puissant du nordet et du bleu infini de la Manche. Rencontre à Paris avec l’écrivain français chouchou, observateur lucide de ce qu’il aime appeler « la France des périphéries ».
C’est une fable douce-amère sur la quarantaine et sur la famille éclatée avec, en arrière-plan, les tensions entre ville et campagne ou entre environnementalisme et développement économique. Après avoir osé l’an dernier un roman plus urbain et moins politique (Chanson de la ville silencieuse), Olivier Adam fait un juste retour à la terre avec Une partie de badminton.

Paul, son double littéraire déjà croisé dans Des vents contraires (2009) et Les lisières (2012), a maintenant 45 ans. Son corps subit les contrecoups d’une usure précoce. Son couple vivote. Sa carrière d’écrivain dégringole. Sa fille ne lui pardonne pas de l’avoir dérobée aux lumières parisiennes pour la planter dans la modeste Saint-Lunaire, où vivent quelque 2000 âmes en bord de mer et à l’ombre des massifs de granit.
C’est là que, se livrant une guerre bien de notre temps, des promoteurs et des riverains se disputent un bout de littoral destiné à un projet de complexe hôtelier luxueux. Préservation de la nature et intérêts économiques se heurtent. Un combat épique, hélas bien banal dans une époque de transition écologique et de chômage galopant en Europe.
Paul et la France
Dans les romans mettant en scène Paul tous les cinq ans, Olivier Adam fait le portrait d’un homme tourmenté par sa vie intime comme par les hauts et les bas d’un pays en crise. Ces trois romans, si perspicaces au sujet de la nature humaine et des noirceurs qui l’assombrissent, sont aussi des portraits clairvoyants de la France des années 2010. Tantôt une France où pullulent des syndiqués déconfits, tantôt une France où la gauche élit Macron en pleine perte de repères politiques. « Et c’est aussi, dit Olivier Adam, une France en bute à une catastrophe écologique et une France de gilets jaunes où la révolte ouvrière ne s’arrime plus à celle des intellectuels progressistes. »
Si les révoltés des ronds-points ne sont pas mentionnés explicitement dans Une partie de badminton, ils sont effectivement partout dans les interstices. Adam raconte aussi la division de plus en plus nette entre le « luxe d’une vie parisienne » et la « vie moyenne » de la majorité de la population. Pardonnez-nous la caricature, pour évoquer vite un phénomène de « relégation » que le roman, lui, raconte avec une plume sensible et gorgée de tendresse pour l’une comme pour l’autre de ces « strates géographiques et sociales ».
Dans un café de Montmartre en ce jour brumeux du mois d’août, deux minutes ne se sont d’ailleurs même pas écoulées avant qu’Olivier Adam se fasse analyste d’une France effrayée par un prétendu péril islamiste. « L’autre chose que Paul se prend en pleine gueule dans ce roman, c’est l’obsession du Grand Remplacement. L’intrigue glisse peu à peu vers une histoire de racisme ordinaire comme il y en a dans tous les pays occidentaux en ce moment. La peur des réfugiés et de perdre l’identité nationale : voilà un mal de notre époque qui n’est pas près d’être enrayé. Je suis comme Paul, je ne sais pas trop comment y réagir. Mon indignation ne semble jamais assez forte pour contrer ces vents-là. »
Ceux qui ont lu les précédents romans savent que Paul est en effet un personnage parfois décalé de sa propre vie et de sa propre révolte, qui marche sur les bas-côtés, comme absent à lui-même. « Il y a même une certaine lâcheté chez Paul, avance Olivier Adam. Il est de nature périphérique : sa personnalité est fondée par le territoire excentré sur lequel il a grandi. Il tente seulement de ne pas couler en mer, de rafistoler au mieux l’embarcation pour qu’elle reste à flot. Devant certains courants trop forts, il est impuissant. »
Cette fois, j’invite [le lecteur] à me suivre dans une spirale narrative parfois rocambolesque, avec des éléments de thriller et des enjeux ultra-romanesques
La mer, les embruns et les vents du nord sont toujours de véritables textures poétiques dans l’écriture d’Olivier Adam. À cette nature tourmentée se greffe cette fois, en écho, un puissant foisonnement narratif. Le roman flirte avec le suspense et avec le polar nordique, à mesure que Paul, défroqué de sa propre famille, se découvre une soeur inconnue, ou que Paul, père aimant, cherche sa fille en fugue dans les rues de Paris, ou que Paul, journaliste devenu son propre sujet d’enquête, traque des néonazis qui s’en prennent aux siens.
Des éléments de vie
Un récit à la manière anglo-saxonne, fomenté par un écrivain qui n’a jamais caché son amour immodéré pour Philip Roth ou Richard Ford. « L’autodérision me correspond particulièrement. En vieillissant, Paul se distancie de ses propres défauts. Il le fait avec ironie et avec un certain chic à l’anglaise. »
À chaque entrevue, c’est inévitable, on redemande à Olivier Adam si tout cela est bel et bien autobiographique. À question banale, réponse néanmoins passionnante : « J’utilise des éléments de ma propre vie en petite quantité. Il s’agit de maintenir l’illusion de biographie pour décupler le potentiel de la fiction. Si le lecteur croit au réel, je peux ensuite l’embarquer et l’amener où je veux. Et cette fois, je l’invite à me suivre dans une spirale narrative parfois rocambolesque, avec des éléments de thriller et des enjeux ultraromanesques. » Nous, en tout cas, on est bien embarqués.