«La petite fille qui en savait trop»: intrigues en coulisse

C’est toujours un plaisir de retrouver un « vieux pro » comme Peter May, qui publie à un rythme d’enfer depuis sa trilogie écossaise du début de la décennie (déjà !). Surtout qu’il reprend ici une de ses toutes premières histoires, parue en anglais au début des années 1980 et jamais publiée en français.
Il situe l’intrigue de ce « thriller politique » à Bruxelles, à la fin des années 1970, alors que la Communauté européenne vit ses premiers moments et qu’un brutal double meurtre vient mettre en danger le fragile nouvel équilibre. Avec le Brexit qui s’annonce, la pertinence et l’actualité du sujet s’imposeront tout au long de cette histoire tordue.
Un étonnant lien de confiance
Au centre de cette toile tissée serré gravitent deux personnages principaux : le journaliste d’enquête Neil Bannerman et Tania, la petite fille autiste de son collègue Slater de l’Edinburgh Post. Bannerman suit le ministre britannique des Affaires étrangères en visite à Bruxelles àquelques semaines des élections générales et partage, avec Slater et sa fille, l’appartement du journal. Et deux jours (et à peine 75 pages) plus tard, le voilà mêlé sans le vouloir au double assassinat du ministre et de son collègue du Post.

Le lecteur sait qu’un tueur professionnel est à l’oeuvre et qu’il ne se doutait pas que Tania a été témoin de l’exécution : quand l’homme reçoit l’ordre de l’éliminer aussi, il se met à sa poursuite. Or la petite Tania a des dons extraordinaires pour le dessin et elle a tracé le portrait de l’assassin… en omettant son visage qui la glace d’effroi ; tout le monde cherchera vainement à lui faire terminer son dessin. Mais voilà surtout qu’il se développe un étonnant lien de confiance entre la jeune autiste et Bannerman.
Le reporter se mettra à fouiller en bénéficiant de l’aide d’un policier, dégoûté que l’on veuille enterrer l’affaire, et de quelques collègues plus ou moins fiables. Il découvre rapidement que Slater faisait chanter le ministre qui, lui, était mêlé à une affaire de trafic d’armes… ce qui menaçait sévèrement les chances du gouvernement britannique d’être réélu. Bannerman remontera la filière en parvenant (difficilement) à sauver sa peau et il publiera finalement les résultats de son enquête dans le Post.
L’enquête, fertile en rebondissements de tous genres, est menée rondement par des personnages solides avec, en arrière-fond, force relents de whisky, intrigue amoureuse et dénonciation de l’immoralité des grands financiers qui sont toujours branchés sur les lieux de pouvoir. Peter May sait de quoi il parle — il était journaliste avant de se mettre à écrire des romans — et il en parle efficacement dans une écriture à la fois vive, juste et colorée bien rendue par la traductrice. Brillante idée de l’éditeur que de publier enfin cette histoire qu’on ne connaissait pas.
Extrait «La petite fille qui en savait trop»
Parfois, les journalistes arrivent avant la police, et annoncent eux-mêmes la nouvelle aux proches. Ensuite, c’est la course. Il faut chercher et subtiliser toutes les photos du mort pour que la concurrence n’en ait aucune. Même si ce n’est pas de cette façon qu’on veut travailler, c’est comme ça que ça se passe. Accepte ou tire-toi. En cet instant précis, souffrant de douleurs multiples, morales et physiques, il choisit l’option la plus facile, celle de rejoindre la meute. Il se fraya un passage jusqu’à l’estrade et prit sa photocopie des mains de Lousière. Comme le reste des charognards, il écrirait son histoire.Seulement, il avait une longueur d’avance sur les autres. Il faisait partie de l’histoire et savait des choses qu’ils ignoraient.
— Désolé, plus de questions, annonça Du Maurier.
Le policier rassembla ses papiers et se dirigea vers la porte, entouré par les journalistes de radios et de télévisions réclamant tous leur part du gâteau : interviews individuelles, images, maigre chance d’exclusivité.