Colin Boudrias ne parle que lorsque c’est nécessaire

« Je suis quelqu’un d’assez réservé. Je ne parle pas quand je n’ai pas besoin de parler », confie Colin Boudrias, à mi-chemin d’une entrevue durant laquelle il répondra généreusement à chacune des questions, mais sans jamais donner dans la logorrhée typique de plusieurs de ses camarades, prompts à saisir n’importe quel crachoir qu’on leur tend, et à ne plus le lâcher.
L’humoriste, visiblement timide, pour qui tourner une vidéo promo sur Instagram tient de la torture, rit. « Des fois, je trouvais ça lourd à l’École [nationale de l’humour, dont il a obtenu le diplôme en 2016], être parmi un groupe composé à 80 % de gens qui essaient de se voler le spotlight. »
À 33 ans, le Montréalais d’origine compte parmi une nouvelle cohorte d’humoristes aussi essentiels qu’incisifs (parmi lesquels Virginie Fortin et Alexandre Forest) qui jonglent indéniablement avec des sujets costauds, à caractère social, sans que l’étiquette humoriste engagé, ou humoriste politique, ne leur convienne tout à fait. Se pourrait-il que cette génération ne jouisse tout simplement plus du luxe de ne pas réfléchir aux injustices, aux absurdités et aux violences qui plombent notre avenir ?
Boudrias s’étonne d’ailleurs que l’on assimile son choix de thèmes (le végétarisme, l’embourgeoisement urbain, la situation des aînés en CHSLD) à une forme de colère, alors que son personnage de scène parle essentiellement sur le même ton posé que son alter ego du quotidien. « C’est dur d’essayer d’avoir du propos sans que les gens aient l’impression que t’es fâché », observe-t-il.
Écoutez le sketch sur le romantisme de Colin Boudrias
Parcours atypique
Diplômé universitaire en psychologie, le barbu (intermittent) arrive à l’humour relativement tard, après avoir travaillé pendant quelques années comme intervenant en santé mentale dans un centre de crise. Sans l’expérience en improvisation ou en théâtre sur laquelle s’appuient souvent les jeunes comiques, il s’investit d’abord dans un travail étroit du texte (qui portera visiblement ses fruits). Contrairement à plusieurs de ses collègues qui tentent d’imaginer un récit leur permettant de filer leurs traits d’esprit épars, Boudrias choisit d’abord le sujet qu’il décortiquera, avant de le sertir de blagues.
« J’essaie de ne pas dire que je suis un humoriste engagé ou politique, parce que je ne veux pas partir avec un handicap », explique-t-il, à moitié entre l’autodérision et le surcroît de réalisme. « J’ai toujours eu cette phobie-là, que les spectateurs soient en train de se dire : "Pourquoi tu viens m’importuner avec tes préoccupations ? J’ai travaillé toute la journée." Je pense quand même que cette perception-là est de moins en moins répandue. Surtout que mon but, ça reste de divertir, et que je n’ai vraiment pas l’impression non plus que l’humour engagé change les comportements des gens. Dans une certaine mesure, je pense que ça donne bonne conscience, aller voir un humoriste dit engagé : c’est comme donner de l’argent à une oeuvre de charité. »
C’est dur d’essayer d’avoir du propos sans que les gens aient l’impression que t’es fâché
Bien qu’il ne soit pas à la ville le plus loquace des humoristes, Colin Boudrias demeure un jeune homme blanc qui donne dans un micro son opinion non sollicitée sur des sujets qu’il maîtrise, certes, mais qu’il ne maîtrise pas comme un universitaire non plus. C’est beaucoup de cette tension entre l’envie irrépressible de prendre la parole et la conscience de la relative inutilité de cette même parole qu’il ausculte dans Chevalier blanc, son premier spectacle solo, présenté pendant Zoofest.
« Je voulais jouer avec la perception du gauchiste donneur de leçons, que les gens peuvent avoir de moi, mais aussi me demander pourquoi j’ai absolument besoin d’avoir l’impression que je pose de bonnes actions, que je suis une bonne personne. »
Liberté d’expression
En mars dernier, Colin Boudrias écrivait sur Twitter (son fil figure parmi les plus drôles au Québec) : « Vraiment hâte qu’un humoriste se parte un podcast qui s’appelle "On peut pu rien dire"», une flèche décochée à certains de ses compatriotes qui prétendent que les réseaux sociaux ont cadenassé leur liberté d’expression. S’il ne souscrit évidemment pas à cette analyse, il se garde de cultiver une obsession pour certaines têtes de Turc logeant à droite.
« Que le public réagisse mal à certains types de blagues, je ne trouve pas ça négatif. Ça nous force à travailler mieux, en général. Je ne veux pas faire de trop grosses généralisations, mais les humoristes qui avaient des jokes du genre "Ah, ma blonde est conne", on les a entendues mille fois et c’est en partie cette usure qui nous pousse à puncher sur de nouveaux sujets. Dans une certaine mesure, c’est utile que le public soit plus frileux, mais c’est aussi un risque à l’inverse de ne faire que des gags sur Richard Martineau. Ça peut marcher très fort devant un certain public, mais tu ne peux pas faire juste des gags de Journal de Montréal. Ça devient paresseux. »