«Sauvage»: brute

« Une histoire singulière et inquiétante. Pensez soeurs Brontë et Stephen King », suggère John Irving en quatrième de couverture. Pas pire pression pour un premier roman.

Et il est vrai que Sauvage, de Jamey Bradbury, est une saprée bête. Déroutante et différente. Un récit d’aventures, d’apprentissage et d’horreur. Un roman macéré de fantastique narré par une adolescente impulsive, rageuse, souvent égoïste. Difficile à suivre dans ses idées qui défilent, dans les décisions parfois discutables qu’elle prend.
Ce qui ne se discute pas, c’est son amour pour ses chiens. Des chiens qu’elle décrit bien, autant qu’elle en prend soin, et que sa mère entraîne. Enfin, que sa mère entraînait. Avant qu’un accident ne cause sa mort, par un soir de promenade, au détour d’un virage abrupt.
Teinté par le deuil, l’incompréhension et la peine, Sauvage se déroule au coeur de l’Alaska, dans ce vide où tout, et tout le monde, peut arriver. Car cet État a « beau être un territoire immense, c’est aussi un endroit tout petit ». Un lieu qui inspire une multitude de descriptions. De paysages, de forêts, de tempêtes. Il faut dire que l’auteure, qui a autrefois été actrice et secouriste, vit depuis 15 ans dans ces contrées. On le sent.
Ce que l’on aurait aimé ressentir davantage, c’est le parler de la narratrice, très parlé, justement, de la version originale anglaise. Car la traduction élimine ces solécismes à la « you was ». Ainsi, on voit apparaître quelques « qu’était », « le vieux camion, celui qu’était posé », mais le tout est autrement plus soutenu. Et incidemment moins personnel et moins atypique.
D’ailleurs, Sauvage est une version plus sage du titre à haute consonance poétique The Wild Inside. Parce que ça gronde dans l’esprit de la protagoniste, qui enchaîne les pensées spontanées. Se parlant constamment. Se répétant souvent. Au point où l’on vient à se demander à quel point il s’agit d’un trait de caractère et à quel point il aurait fallu un peu plus d’édition.
Par exemple, lorsqu’elle réitère à la lettre les règlements de l’une des courses de traîneau à chiens à laquelle elle s’est inscrite, l’Iditarod Junior. Sept animaux minimum, dix maximum. À 22 pages d’écart. Nous avons déjà lu ça quelque part…
Par contre, Jamey Bradbury excelle dans la description des sentiments que traverse une ado, ses peurs, ses doutes et l’ennui criant de sa mère disparue. « J’ai couru dans sa chambre, j’ai crié “Maman !”, mais ce mot est tombé par terre sans qu’elle soit là pour le ramasser. »
On utilise ici les guillemets, pourtant dans le roman, ils sont inexistants. Choix stylistique intéressant, qui renforce l’idée de monologue intérieur continuel, mais qui se révèle souvent désorientant. Comme ce filon qui guide le livre. Celui du sang. Le sang des animaux dont la narratrice s’abreuve pour mieux les comprendre, ce sang humain que sa mère lui a interdit de faire couler.
Une lecture dont on sort retourné, à la fois fasciné, irrité, stimulé. Pour citer la principale intéressée : « Ça faisait trop de peut-être à tirer au clair. »