«La trajectoire des confettis»: faire la peau aux tabous

Marie-Ève Thuot montre bien que les limites de nos existences sont celles que l’on s’impose à soi-même.
Photo: Philippe Latour Marie-Ève Thuot montre bien que les limites de nos existences sont celles que l’on s’impose à soi-même.

« Pas de tabou ! » voilà l’interjection qui unit Zach et Charlie, l’un des nombreux couples de La trajectoire des confettis, dont la posture pourrait traduire l’idée d’ensemble de ce premier roman signé par Marie-Ève Thuot. Ouvrage massif aux récits nombreux, portés par plusieurs générations d’une famille atypique qui, successivement, explorent les normes de leur époque, subissent leur violence et cherchent à les transgresser.

On entre dans cette fresque touffue par l’une des trames les plus réussies, où Xavier, barman, est troublé par une cliente excentrique qui éveille en lui des sentiments depuis longtemps refoulés. Chaste depuis quinze ans par suite d’un traumatisme psychologique, son attirance pour elle mènera à un flirt singulier.

Le roman, étendu sur plus d’un siècle, entremêle ses récits, offrant des personnages tous plus ou moins dissonants vis-à-vis de l’ordonnance de leur société. L’un trouve son équilibre dans une relation ouverte, un autre s’enfarge à répétition dans des couples exclusifs.

Tandis que certaines explorations sexuelles et amoureuses mises en scène sont plus généralement admises de nos jours, le couple d’une tante et de son neveu secoue nos tabous, montrant avec justesse et une certaine sédition le caractère arbitraire de nos prescriptions sociales : « Le sexe a donné lieu à tellement de tabous dans le passé… et même encore de nos jours… Peut-être parce qu’il permet de toucher au présent… et à l’infini… L’infini est une forme de chaos et les gens ont peur du chaos… »

À travers une lunette féministe modérée mais efficace, la romancière offre aussi une voix à ces Québécoises qui, hier encore, étaient enfermées dans un rôle de génitrice, contrôlées par la religion et le dictat de la procréation. L’enchevêtrement de toutes ces existences culmine par la revanche de trois jeunes héritières de ce fardeau familial et social qui, inquiètes de la survie de la planète, militent pour l’extinction de l’espèce humaine.

Soutenu par une ligne éditoriale incarnée, loin du sermon, l’auteure montre bien que les limites de nos existences sont celles que l’on s’impose à soi-même : « Tant que les êtres voudront se posséder les uns les autres, nous en resterons là où nous sommes. »

Illustration habile du double standard et riche réflexion sur les enjeux de genre, La trajectoire des confettis tisse une toile complexe, reflet des tensions sociales et intimes qui dictent la conduite — ou le dérapage — des êtres.

L’écriture de Marie-Ève Thuot offre cependant peu de moments cathartiques, dénouant les situations de tension par des ellipses narratives qui donnent l’impression que les personnages ont réglé leurs problèmes pendant notre absence.

On en vient à ne plus espérer cette charge émotive tant elle ne vient pas. Ce premier roman offre néanmoins un plaisir intellectuel soutenu, qui nous invite à réviser les temples de nos institutions et la sacralisation de nos moeurs.

Extrait de «La trajectoire des confettis»

« Il y avait toujours quelque chose pour déplaire à une partie de l’humanité, tandis que l’autre s’en réjouirait. Elle n’allait pas renoncer à Bastien parce qu’on était incapable de se passer de tabous et préjugés, encore moins au nom de la sacro-sainte nature. « Contre-nature », elle l’avait lu si souvent, ce mot, sur les forums. Mais tout ce qu’on faisait qui était contre nature ! Les anovulants, la dialyse, la chimiothérapie, les traitements de fertilité, les césariennes. La nature était une suite d’erreurs et d’approximations à rectifier. Et les préjugés, des peurs confuses de s’en affranchir. »

La trajectoire des confettis

★★★

Marie-Ève Thuot, Les Herbes rouges, Montréal, 2019, 624 pages



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