«Le gardien de la Joconde»: le syndrome du garde du corps

L’actualité en témoigne chaque jour : la corruption est un sujet à la mode. Presque toujours « proprette », invisible à l’oeil nu, cachée derrière les clauses à petits caractères, elle se retrouve partout. On en arrive même à croire qu’elle peut porter tous les masques puisqu’elle sait se faire politique, financière, administrative, policière même…
C’est du moins ce qui se passe ici alors qu’une avocate espagnole met sur pied un trafic de cocaïne en s’appuyant sur les politiciens locaux et les services secrets argentins.
L’a b c de la corruption
Cette histoire qu’on voudrait croire impossible se tisse autour de deux personnages très marqués : Nuria Menéndez Lugo — l’avocate espagnole dite la Joconde —, venue officiellement à Buenos Aires bâtir un réseau d’exportation de vin vers l’Europe ; et Rémil, son garde du corps, un ancien soldat d’élite ayant combattu aux Malouines surnommé le « héros infâme » par ses collègues des services secrets. Le rôle de Rémil est capital puisque tout le monde veut avoir sa part du gâteau dans ce qui se trame, et la Joconde peut devenir une cible à tout moment.

Le scénario est complexe : il implique que l’on dissolve la cocaïne pour l’incorporer au vin puis qu’on procède à l’opération inverse en Espagne. Le procédé est connu, les alliés politiques importants et il suffit de soudoyer les bons intermédiaires pour que la marchandise échappe aux contrôles douaniers.
Les patrons de Nuria Menéndez Lugo iront jusqu’à utiliser d’autres subterfuges pour mieux diversifier les opérations. Et tout prospère jusqu’à ce qu’un partenaire anonyme estime que sa part n’est plus assez importante.
On mettra beaucoup de temps à saisir les arcanes de l’opération dans laquelle est aussi impliquée la DEA américaine, qui cherche d’abord à piéger un caïd colombien.
Mais l’attrait majeur du roman se situe dans l’interaction trouble et passionnée entre la Joconde et son gardien : on le devine rapidement, ces deux personnages complexes magnifiquement dessinés vivront finalement une relation torride.
La chose est d’autant plus intéressante que Rémil ne se contente pas d’être un presque surhomme, lui qui lit Suétone et se passionne pour l’histoire…
L’écriture de Fernández Díaz (et l’excellente traduction d’Amandine Py) emporte le récit à un rythme affolant ; on ne cessera de s’étonner devant la complexité des combines des trafiquants, la description des quartiers complets de la ville abandonnés aux mafias diverses de même que de la pertinence des personnages secondaires du récit.
Mais c’est surtout l’intensité de la relation entre la Joconde et son gardien qui frappe tout au long. On rencontre rarement des personnages tragiques de cette ampleur dans un polar. Autant en profiter.