«La mort des démocraties»: la démocratie américaine en péril

Lorsque, pour financer son mur antimigrants, le président américain Donald Trump se sert de son veto contre la Chambre des représentants, à majorité démocrate, et le Sénat, où le Parti républicain est pourtant majoritaire, le livre de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, La mort des démocraties, devient d’une brûlante actualité. Ne faut-il pas, pour ces auteurs, empêcher aux États-Unis mêmes la démocratie « de mourir de l’intérieur » ?

Les deux politologues de Harvard estiment avec justesse que « les États-Unis, pour la première fois de leur histoire, ont élu pour président un homme sans expérience politique, sans attachement viscéral aux droits constitutionnels, mais aux tendances autoritaires évidentes ». Ils n’hésitent pas à se demander : « Serions-nous en train d’assister au déclin et à la chute de l’une des plus anciennes et des plus florissantes démocraties au monde ? »
Pour illustrer le caractère extravagant du populiste Trump, milliardaire de l’immobilier du moins en titre, affairiste nullement étranger à la faillite mais qui garde secrète sa déclaration de revenus et vedette de la téléréalité connue du grand public, Levitsky et Ziblatt le comparent à leur compatriote l’aviateur Charles Lindbergh. Le romancier américain Philip Roth (1933-2018) fait, notent-ils, du premier homme à traverser l’Atlantique en avion, réel sympathisant nazi, le président républicain fictif des États-Unis en 1941 !
Roth dépeint avec prémonition Lindbergh, précisent-ils le sourire en coin, comme un Trump, « outsider à la légitimité démocratique discutable » qui « arrive au pouvoir aidé par une puissance étrangère »… Même s’ils sèment le doute sur l’avenir en évoquant cette hypothèse hardie, les politologues espèrent que la tolérance mutuelle et la retenue qui historiquement protègent la démocratie américaine puissent avoir raison de Trump.
Mais ce fair-play se heurte à un phénomène que Levitsky et Ziblatt ont le talent de mettre en évidence : l’intensification de la polarisation partisane. Ils résument : « Être démocrate ou républicain ne révèle plus seulement une appartenance politique, mais une identité. » La division, soulignent-ils, « dépasse largement le clivage progressiste-conservateur », elle devient sociale et ethnoculturelle.
Ce bouleversement de l’échiquier politique découle, rappellent les spécialistes, de l’opposition légale (1964-1965) du gouvernement démocrate à la ségrégation raciale. Depuis lors, les démocrates blancs enclins à la ségrégation se tournent vers le Parti républicain, qui devient « le refuge des conservateurs blancs racistes », concluent avec clairvoyance Levitsky et Ziblatt.
Cela laisse entrevoir la résistance désespérée d’une Amérique blanche à une Amérique multiculturelle et multiraciale déjà prête à la dominer.