«Pas pressée»: éloge de la vulné(rabilité)

Le roman de Lily Pinsonneault captive d’emblée grâce au rythme effervescent d’une langue simple, mais qui se méfie de la banalité.
Photo: Adèle Foglia Le roman de Lily Pinsonneault captive d’emblée grâce au rythme effervescent d’une langue simple, mais qui se méfie de la banalité.

Jolen a changé. Mais pas tant que ça non plus. Retrouvons-la alors qu’elle relit un texto envoyé la veille à Joseph (encore lui), après avoir enfilé quelques petits boires de trop. « Le seul problème, c’est que mon enthousiasme débordant et l’heure à laquelle j’avais écrit le message laissaient un peu entrevoir ma vulnérabilité. La vulné, c’est pas sexy. »

Avec son premier roman, Sauf que j’ai rien dit, Lily Pinsonneault embrassait en 2017 une histoire à la fois hypercontemporaine et vieille comme le monde, celle d’un amour plus fantasmé que réciproque, gonflé à l’hélium d’un de ces échanges virtuels dans lequel un des correspondants s’investit davantage que l’autre.

Une vraie de vraie relation

 

Amélioration notable : la Jolen avec laquelle on renoue aujourd’hui dans Pas pressée émerge d’une vraie de vraie relation, mais qui se sera peu à peu étiolée sous le poids de ses nombreux silences à elle. Retour à la case départ (ou presque).

 

La vulné(rabilité), c’est pas sexy, donc ? Évidemment que Jolen sait qu’elle se trompe, ou du moins qu’on ne devrait jamais considérer sa propre fragilité à l’aune du regard de l’autre.

On le comprendra rapidement : la jeune femme tente toujours, sans tout à fait y parvenir, de ne pas chercher son reflet dans les yeux de garçons qui se foutent d’elle. Mais quelle tâche sisyphéenne que d’apprendre à s’aimer soi-même !

Grise saison sous la couette

 

À l’instar de son prédécesseur, Pas pressée captive d’emblée grâce au rythme effervescent d’une langue simple, mais qui se méfie de la banalité, et qui insuffle à chacune de ses phrases cette très singulière conjugaison d’espièglerie et de gravité digne d’une conversation entre vieux amis.

Et c’est d’ailleurs cette langue qui place Lily Pinsonneault dans une catégorie à part parmi toutes celles qui trouvent matière à tragicomédie dans les chagrins sentimentaux et existentiels de la célibataire négociant le tournant de la trentaine.

Dialoguiste dégourdie, la romancière demeure dotée d’une paire d’oreilles aiguisées, qui savent capter avec précision la drôle de langue vernaculaire que malaxe une certaine jeunesse montréalaise, mélange savoureux de vieux québécismes, de franglais, de fausse vulgarité, de politesses surannées et d’inventions. Les « chums de femme » de sa narratrice héritent d’ailleurs de quelques morceaux d’anthologie de monologues échevelés.

En racontant la grise saison sous la couette d’une fille intelligente et pourtant trop orgueilleuse pour reconnaître qu’elle souffre de trouble panique, le second tome des aventures de Jolen met en lumière la honte sourde que charrient encore les problèmes de santé mentale. Le dosage est juste, assez fin pour que rien ne ressemble ici à une campagne de sensibilisation.

Un gouffre

 

Ode au pas de recul nécessaire au débrouillage de sa propre identité, Pas pressée tient la chronique d’un passage de la vie où l’accumulation de petits malheurs soignés à la sauvette finit par révéler, à l’intérieur, un gouffre plus grand qu’on le soupçonne.

Pas pressée

★★★ 1/2

Lily Pinsonneault, Québec Amérique, Montréal, 2019, 208 pages

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