«Bonne élève»: une nature morte

Après avoir quitté l’Argentine avec l’intention de ne plus jamais y revenir, bien déterminée à tourner le dos à un pays en crise et à fuir un amour maternel un peu cannibale, une jeune femme avance sur la corde raide. « Maman attend le moment idéal pour m’obliger à revenir auprès d’elle, pour que nous nous desséchions ensemble, à l’intérieur de sa maison parfaite. »
Avec une précision mécanique où elle dissèque une histoire d’immigration malheureuse, Paula Porroni, Argentine née en 1977 qui vit aujourd’hui à Londres après des études à Cambridge, a construit avec Bonne élève, son premier roman, un univers qui par moments pourra faire penser à celui d’Elfriede Jelinek.

Après des études en histoire de l’art dans une prestigieuse université britannique, la narratrice de Bonne élève, n’ayant pas trouvé de travail dans son pays, est de retour en Angleterre. Puisant dans l’héritage laissé par son père, dont les réserves s’épuisent aussi vite que la patience maternelle, pour cette fille unique, ce séjour à l’étranger est à ses yeux — et à ceux de sa mère, dont elle ne se prive pas d’utiliser à distance la carte de crédit — celui de la dernière chance.
Dans ce récit tendu, qui nous prend à la gorge, palpitent la hantise de l’échec et la haine de soi. « Je ne sais pas vivre dans l’erreur », avoue la jeune femme. Peut-être même, comme beaucoup d’entre nous, ne sait-elle pas vivre du tout.
Et tout comme elle s’enlise dans son expérience d’immigration ratée, la jeune femme s’enfonce dans la peau des aiguilles brûlantes, elle se mutile avec à la fois le désir de se punir, de s’infliger de la douleur et de se réveiller d’un cauchemar. De la même façon qu’elle court chaque soir pour se faire plus mal encore, pour ne pas grossir ou pour se fatiguer, « même si le soir je n’ai jamais sommeil », dira-t-elle.
Une université de troisième ordre du nord de l’Angleterre, qui accepte de lui offrir une bourse pour un projet de doctorat qu’elle entend consacrer aux natures mortes d’une peintre et entomologiste allemande du XVIIe siècle, est peut-être son unique porte de sortie pour la sauver.
Mais de pension terne en chambre miteuse, d’une chambre d’amis — amis qui l’utilisent ou qu’elle-même utilise — à une colocation sans partage, d’une rencontre sexuelle un peu malsaine à une autre, la narratrice de Bonne élève dégringole les marches de l’escalier social en se rapprochant un peu plus chaque fois du désespoir et de Buenos Aires.
Tout cela, ce court roman qui évolue au bord d’un gouffre profond, Paula Porroni le décline en une narration à la première personne qui nous installe dans un présent anxiogène où affleurent en permanence, avec les surprises et les chocs, la violence des rapports humains et une solitude insondable.