«Onze brefs essais contre le racisme»: vaincre la discrimination culturelle

Pour Rodney Saint-Éloi, l’art rompt «les chaînes de la servitude».
Photo: Pascal Dumont Pour Rodney Saint-Éloi, l’art rompt «les chaînes de la servitude».

Le texte de Rodney Saint-Éloi donne une saveur unique aux 11 brefs essais contre le racisme, ouvrage collectif sur la présence de la discrimination au Québec. Le poète, essayiste et éditeur québécois né en Haïti écrit : « Je n’ai jamais compris le mot “étranger”. » Un être humain, surtout s’il est écrivain, ne saurait être étranger, car, pour Saint-Éloi, l’art rompt « les chaînes de la servitude ». Il faut recoller le monde pour le voir en entier.

Cette pensée plurielle illumine le livre dirigé par Amel Zaazaa, organisatrice communautaire montréalaise d’origine tunisienne, et Christian Nadeau, professeur de philosophie politique à l’Université de Montréal, président de la Ligue des droits et libertés. On aurait même souhaité qu’elle l’imprègne davantage, tant la hauteur du métissage culturel qu’elle exprime transcende les revendications, sans pourtant désavouer leur vigueur qui gagnerait parfois à être plus incisive.

Dans la préface du recueil auquel collaborent 14 auteurs, l’historien et politologue Frantz Voltaire, originaire d’Haïti, insiste sur le caractère « insidieux » du problème. Selon lui, dans le taux de chômage des minorités racisées, c’est-à-dire victimes de discrimination, « l’on observe un racisme structurel beaucoup plus difficile à contrer que le discours de groupuscules ouvertement racistes ».

Le racisme apparaît donc sournois et subtil dans l’esprit, mais on ne peut plus clair dans les conséquences pratiques. De prime abord, Amel Zaazaa et Christian Nadeau insistent pour rappeler qu’il obéit à une logique aussi cachée qu’implacable et le qualifient à juste titre de « systémique ». Ils regrettent que la demande faite au gouvernement québécois en 2016 d’une consultation sur ce thème épineux n’ait pas porté ses fruits.

Je n’ai jamais compris le mot “étrangerˮ.

 

Dans la conclusion, les deux directeurs de l’ouvrage ne nomment qu’un acteur québécois du racisme systémique : Alexandre Bissonnette, responsable en 2017 du massacre à la grande mosquée de Québec, en estimant que son mobile reste obscur. Aucun auteur d’essai ne mentionne d’autre nom associé au racisme, même supposé. Cette absence de polémique précise étonne.

D’autant qu’en 2012, les politologues Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, dans Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec, avaient levé le voile sur les intellectuels connus qui pourraient prêter le flanc aux critiques des adversaires de la discrimination. Tidiane Ndiaye, politologue québécois né au Sénégal, signale : « Dans le discours des racistes modernes, ce ne sont pas les races qui sont déclarées incompatibles ou inégales, ce sont les coutumes, les croyances et les civilisations. »

Il n’y a que la compréhension profonde et critique des hauts et des bas de la culture québécoise pour espérer unir celle-ci aux autres cultures dans un progrès commun.


11 brefs essais contre le racisme. Pour une lutte systémique

★★★

Sous la direction d’Amel Zaazaa et Christian Nadeau, Somme toute, Montréal, 2019, 160 pages



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