Fiction québécoise: la réapparition de celles qui nous ont manqué

Dans «Épiphanie», son premier livre en 10 ans (!), l’auteure Myriam Beaudoin épouse le ton de l’intime afin de raconter, à l’aide d’un «je» collé au réel, le souverain désir d’enfant, de la clinique de fertilité jusqu’au bureau gris de la DPJ.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Dans «Épiphanie», son premier livre en 10 ans (!), l’auteure Myriam Beaudoin épouse le ton de l’intime afin de raconter, à l’aide d’un «je» collé au réel, le souverain désir d’enfant, de la clinique de fertilité jusqu’au bureau gris de la DPJ.

Excusez le cliché : il y a peu de choses plus agréables que d’enfin avoir des nouvelles d’amies précieuses, après des années de silence. C’est d’ailleurs ce genre de doux sentiment qui nous étreignait en scrutant les listes de sorties littéraires à venir, dans lesquelles nous reconnaissions le nom de plusieurs écrivaines qui nous ont manqué, à commencer par celui de Myriam Beaudoin.

Comment réagir autrement à l’annonce d’un premier livre en 10 ans (!) pour l’auteure de Hadassa, cette visite dans les couloirs d’une école juive hassidique jadis plébiscitée par la critique ? Son récit Épiphanie (Leméac, 23 janvier) épouse cette fois-ci le ton de l’intime afin de raconter, à l’aide d’un je collé au réel, le souverain désir d’enfant, de la clinique de fertilité jusqu’au bureau gris de la DPJ.

Elle n’aime pas du tout qu’on l’affuble du titre de grande dame, nous confiait-elle cet été, mais insistons quand même : la grande dame de notre littérature Suzanne Jacob lance son premier livre depuis 2011, le recueil de nouvelles Feu le soleil (Boréal, 29 janvier), une série de « petites allégories sur la mort annoncée de notre monde ». Comme quoi l’angoisse écologique n’est pas qu’une maladie de millénarial.

Entre fiction et vécu, Louise Portal célèbre quant à elle la complexité de la trajectoire de 15 femmes chères à son coeur, 15 femmes avançant dans la noirceur de leur solitude obligée, dans Seules. Ces femmes que j’aime (Druide, mars).

Dans la catégorie « Elles nous ont moins fait languir, mais leur retour ne nous enthousiasme pas moins pour autant », nommons d’abord Corinne Larochelle qui, dans Pour coeurs appauvris (Le Cheval d’août, 16 avril), examine le désir sous 60 angles différents (pour autant de microrécits).

La reine de la littérature populaire intelligente, Mylène Gilbert-Dumas, révèle le 1er mai Le livre de Judith(VLB), énième roman portant sur la Deuxième Guerre mondiale, mais rare roman sur le sujet imaginé autour de véritables figures féminines d’espionnes.

Emilie Andrewes réfléchit de son côté à « l’impossible réconciliation entre l’amour des autres et l’effroi qu’ils nous inspirent » dans Déments à cheval (Druide, en librairie), un roman qui, malgré cette description, ne dépeindrait pas l’effet délétère des réseaux sociaux sur notre capacité à nourrir de l’affection pour notre prochain.

Des suites, des suites, des suites

 

À vue de nez, un généreux nombre de suites figurent parmi les parutions à venir dans les prochains mois, dont ce nouveau Sylvie Drapeau, qui conclut avec La terre (Leméac, 6 février) sa tétralogie amorcée en 2015. Abla Farhoud, elle, retrouve le personnage principal du Fou d’Omar, un homme atteint de maladie mentale qui trace le bilan de sa vie dans Le dernier des snoreaux (VLB, 3 avril).

L’amour, à l’orée de l’âge adulte, c’est rarement facile. Parlez-en à Lily Pinsonneault, qui renoue avec la narratrice de son savoureux premier roman, Sauf que j’ai rien dit, Jolen, dans Pas pressée (Québec Amérique, 6 mars).

Fanie Demeule renoue elle aussi avec la narratrice de son premier roman, Déterrer les os, dans Roux clair naturel (Hamac, 19 février). On ne naît pas rousse, on le devient ? Quelque chose comme ça, oui.

Les punks écrivent !

Au sein de La Descente du coude ou du groupe culte Suck la marde, Simon Leduc avait l’habitude de balancer ses cocktails Molotov de poésie anarcho-lyrique dans la vitrine du statu quo. Pas étonnant que le premier roman du chanteur, L’évasion d’Arthur ou La commune d’Hochelaga (Le Quartanier, 26 mars), tienne la chronique de la fondation d’une commune révolutionnaire dans une école incendiée.

Requiem en punk mineur (XYZ, 27 février), c’est le titre du second roman de Sylvain David, autre punk converti à la littérature après sa vie au sein de la formation Banlieue rouge, qui conjugue cette fois-ci l’univers des musiques vociférantes à la mécanique du polar.

Un chien crucifié par un homme déguisé en cheval. Cette « scène sanglante digne d’un clip de black métal » émerge de la caboche tordue de Julien Guy-Béland, ancien bassiste de la formation metalcore Skip The Foreplay, dont le premier roman, Vos voix ne nous atteindront plus (Héliotrope, 30 janvier), semble couver tout un monde de visions sacrilèges et d’ensorcelantes images subversives.

David Clerson n’a jamais, à ce qu’on sache, joué dans un groupe punk, mais ses fictions glauques doivent très certainement quelque chose au romantisme désespéré de ceux qui aiment l’humanité au point d’en être dégoûtés. L’auteur de Frères et d’En rampant balance un premier recueil de nouvelles, Dormir sans tête (Héliotrope, 27 février).

Les vétérans

 

Vous avez toujours pensé, comme nous, que le meilleur Gilles Archambault est le Gilles Archambault de la brièveté ? Réjouissez-vous : le faux pessimiste aligne pas moins de 100 récits très, très courts dans Tu écouteras ta mémoire (Boréal, 12 mars).

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Gilles Archambault aligne pas moins de 100 récits très, très courts dans «Tu écouteras ta mémoire».

Un peu plus jeune que le vénérable Gilles, mais auteur d’une oeuvre presque aussi imposante, Louis-Philippe Hébertoffre un recueil de nouvelles au titre trempé dans le gros bon sens : Petit chagrin ou Il ne faut pas laisser les êtres fragiles jouer avec des couteaux (Lévesque éditeur, 20 mars).

Larry Tremblay replonge pour sa part dans ses obsessions avec L’oeil soldat (La Peuplade, 12 mars), un récit poétique en vers auscultant l’horreur et l’absurdité de la violence guerrière.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Larry Tremblay replonge dans ses obsessions avec «L’oeil soldat».

Rapide coup de chapeau à deux autres vétérans : François Gravel, qui parvient à rire d’un diagnostic grave dans À vos ordres, colonel Parkinson ! (Québec Amérique, 13 mars), et Jean-Marc Beausoleil, qui s’amuse avec les codes de la fiction historique dans Corsaire d’hiver (Sémaphore, 7 mai).

En traduction

 

Elle écrit en anglais, mais on ne fait pas plus Montréalaise que Heather O’Neill. Alto continue de remonter son catalogue avec Mademoiselle Samedi soir (12 février), un roman d’abord paru en anglais en 2014. Fidèle à O’Neill, Dominique Fortier en signe la traduction.

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Alto continue de remonter son catalogue avec «Mademoiselle Samedi soir», de Heather O’Neill.

William S. Messier et Patrick Isabelle s’inscrivent eux aussi dans cette féconde tradition d’écrivains traduisant des collègues anglo-québécois. Le premier se range derrière Fille d’intérieur (Ta mère, 19 mars), de Frankie Barnet, bref recueil de nouvelles à l’humour aussi bienveillant que sans pitié, alors que le secondaccompagne Fée (Marchand de feuilles, 29 janvier), premier roman de la cinéaste Eisha Marjara, une plongée dans le gouffre de l’anorexie.

Collections de genre

Nouvelle preuve qu’il est révolu, le temps où il valait mieux taire sa geekitude, Le Quartanier met au monde ce printemps une collection de romans de genre, « Parallèle », à l’enseigne de laquelle paraîtra de deux à quatre fois l’an des polars, du fantastique, de la science-fiction et de l’horreur. Mathieu Bergeron et Grégoire Courtois l’inaugurent le 14 mai avec La ville escale et Les agents. Triptyque dévoile aussi une collection flambant neuve dont le nom, « Queer », se passe d’exégèse et dont l’écrivain Pierre-Luc Landry tiendra la barre. Premier titre : La Minotaure, de Mariève Maréchale (23 janvier).


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