«Tout savoir sur Juliette»: maniéré et emprunté

Un narrateur en cavale à Barcelone, psychothérapeute montréalais défroqué qui revient pour la première fois dans la métropole catalane en 25 ans, se lance dans une logorrhée désordonnée qui prend pour prétexte sa recherche d’une certaine Juliette, à propos de laquelle il s’est engagé à écrire.
Et comme, nous explique-t-il, « l’ordonnancement est à l’hygiène ce qu’est la détestation à la santé », ce personnage d’emblée antipathique, à la mauvaise foi évidente, ne se prive pas de partager ses lubies et ses détestations. Sur une tonalité aussi péremptoire que dérisoire y passent ainsi le jazz, le café, Gaudí.

Tout savoir sur Juliette, premier roman surchargé d’Érik Vigneault, est une enfilade de digressions, de parenthèses, d’incises souvent prétentieuses, de rencontres réelles ou imaginées qui nous sont racontées au subjonctif plus-que-parfait. Un récit qui avance à coups de tics d’écriture et de hoquets, qui sont ici, nous faut-il peut-être comprendre, les symptômes d’un certain déséquilibre du narrateur guidé par son obsession pour cette jeune femme anonyme — on apprendra qu’il s’agit de sa propre fille dont il ignorait l’existence.
Une obsession, du reste, qui n’a d’égale que la fascination qu’il entretient pour un certain nombre d’artistes qui se sont suicidés : Sadegh Hedayat, Francesca Woodman, Sylvia Plath, Édouard Levé, Stefan Zweig, Marina Tsvetaïeva, Marilyn Monroe, etc.
À défaut de tout savoir sur Juliette, le roman avance du coq-à-l’âne et fait flèche de tout le bois qu’il rencontre avant de le lancer dans toutes les directions. « Si j’étais devenu architecte, j’eusse été un architecte médiocre. Peintre ? Peintre médiocre. Je suis devenu psychothérapeute, médiocre. Médiocre comme la majorité, la très grande majorité des psychothérapeutes, comme écrivain je suis médiocre, pratiquement tous les écrivains sont médiocres, de fait c’est parmi les écrivains en particulier, les poètes surtout et les artistes en général que se rencontre d’abord la médiocrité… »
Plutôt contrefaçon littéraire qu’entreprise réellement originale, on y trouvera un peu de la névrose littéraire d’un Enrique Vila-Matas, un rien de la harangue vénéneuse de Thomas Bernhard, un incipit proustien. Mais avec ce roman un peu m’as-tu-vu dont l’unique ambition semble être de remplir des pages et de gloser avec panache sur un commentateur de la littérature (Vila- Matas), Érik Vigneault n’a pas voulu ou n’a pas su se dégager des influences qu’il revendique.
« Je vis dans la terreur de ne pas être incompris », a un jour écrit Oscar Wilde. L’ambition derrière Tout savoir sur Juliette est peut-être du même ordre. Maniéré et emprunté.