«Saint-Jambe»: épopée légendaire d’un quartier populaire

La mer a englouti la Basse-Ville. Dans la République de Saint-Jambe, quartier-pays populaire de Québec ainsi proclamé à la suite d’un siège aux allures mythiques, les éboueurs deviennent artistes, les marches de l’église promettent la compagnie de papillons réfugiés politiques, le dos d’un amant est prétexte à une correspondance fiévreuse et le rejet du Bonhomme Carnaval se propage en manifestes aztécomarxistes.
Bienvenue dans l’univers d’Alice Guéricolas-Gagné. Avec ce premier roman, l’auteure de 22 ans, lauréate du prix Robert-Cliche, offre une plongée vertigineuse dans l’ailleurs — un univers impressionniste indescriptible où le fabuleux exhibe une vérité intangible qui repose dans la volonté d’appropriation de chacun.

Empreinte de l’épopée légendaire du quartier Saint-Jean-Baptiste, Saint-Jambe se présente comme le résultat de l’enquête ethnologique d’une spécialiste du folklore contemporain.
En interrogeant les habitants du quartier, en épluchant les archives et en découvrant des trésors cachés dans les greniers et sous les ruines de la ville, elle trouve une multitude de fragments, récits teintés de réalisme magique situés à l’orée de la légende, témoins d’une histoire glorieuse aux contours nébuleux.
« On est de Saint-Jambe comme on naît d’un village. Il faut, pour le comprendre, gambader sur ses toits dans les nuits de juin et contempler les étoiles se mêlant aux faisceaux des réverbères. Les soirs de pluie, nous rentrons chez nous dans la lueur bleutée des nuages, pataugeant dans les étangs nichés au creux de l’asphalte. Nous mettrions notre main au feu que nous venons de croiser un lac Saint-Jean de fortune — alors que nous ne faisons que contourner, tels des voyageurs, une flaque d’eau du stationnement Saint-Olivier. »
Les brèches et les non-dits qu’englobe chaque épisode témoignent de la maîtrise de l’art du conte de la jeune écrivaine, cette forme rebelle impossible à cristalliser dans le temps, en constante réinvention selon celui qui le transmet ou le reçoit.
Le style poétique, mais d’une modernité vivante et ancrée dans la réalité, croise les maisons étroites, les lucarnes, les escaliers tourbillonnants et les majestueux couchers de soleil du cap Diamant et de la rue Salaberry aux aventures fantastiques et inexplicables de leurs habitants, renforçant cette impression que quelque chose nous échappe dans la construction du mythe collectif fondateur de ce quartier.
La faune bigarrée et révolutionnaire rencontrée au fil des pages — du géant casanier au terroriste pacifiste, en passant par les acrobates des toitures qui pêchent les malheureux pour leur redonner espoir — possède le charme des héros naïfs, créatifs et mystérieux d’un Fred Pellerin, et contribue à amoindrir l’impression d’opacité qui tarabustera par moments les non-initiés.
Saint-Jambe constitue avant tout la promesse d’un imaginaire foncièrement original et d’une volonté de bousculer les conventions littéraires sans provocation, par la simple richesse d’une vision. Rafraîchissant et prometteur.