Se tenir debout

Tendre et enveloppante, Anaïs Barbeau-Lavalette parvient à poser un regard très doux et humain sur chacune des femmes.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Tendre et enveloppante, Anaïs Barbeau-Lavalette parvient à poser un regard très doux et humain sur chacune des femmes.

C’est au moment où elle écrit La femme qui fuit qu’Anaïs Barbeau-Lavalette prend conscience du manque flagrant de modèles féminins dans notre histoire écrite. À l’instar de sa grand-mère — Suzanne Meloche, femme forte qui décide de quitter la famille pour s’accomplir —, plusieurs femmes ont façonné le pays, porté leur cause, quitte à tout perdre.

Avec Nos héroïnes, qui paraît tout juste chez Marchand de feuilles, l’auteure met en lumière une quarantaine de portraits singuliers qui ont, depuis les débuts de la colonie jusqu’à la période contemporaine, marqué l’histoire, façonné le paysage culturel et social. « Écrire ce livre est, pour moi, la suite logique des choses. Qu’est-ce qu’on construit après #MoiAussi? C’est ça. On construit des modèles de femmes fortes qui depuis très longtemps se sont levées et ont bravé les interdits », explique Anaïs Barbeau-Lavalette dans une entrevue accordée au Devoir.

Bien que sa façon de les mettre en lumière permette aux lecteurs, petits et grands, de prendre la mesure des exploits, Anaïs Barbeau-Lavalette parvient à les présenter d’abord et avant tout comme des êtres humains qui ont su tenir tête, croire en leurs forces et s’affirmer comme tels. « Il faut se réapproprier cette façon de raconter en présentant de façon naturelle le vécu de ces Kateri Tekakwitha, Louise de Ramezay, Emma Lajeunesse », ajoute-t-elle.

Si quelques figures incontournables se sont imposées lors de la sélection des modèles — Marie Rollet, Simonne Monet-Chartrand, La Bolduc, Thérèse Forget-Casgrain en tête —, les coups de coeur et les personnalités marginales ont par la suite guidé le choix. « Je voulais un portrait d’héroïnes varié, un éventail de luttes aussi. Il y a autant de sportives que de militantes pour les droits. Il y avait aussi beaucoup d’Amérindiennes qui s’imposaient, parce qu’elles font partie de notre paysage. Je trouve ça beau de faire cohabiter ces femmes de façon naturelle. »

Je voulais un portrait d’héroïnes varié, un éventail de luttes aussi. Il y a autant de sportives que de militantes pour les droits. Il y avait aussi beaucoup d’Amérindiennes qui s’imposaient, parce qu’elles font partie de notre paysage. Je trouve ça beau de faire cohabiter ces femmes de façon naturelle.

Tendre et enveloppante, l’auteure parvient ainsi à poser un regard très doux et humain sur chacune d’elles, favorisant l’identification. « Je pense qu’on peut être forte tout en étant très féminine. Il y a des femmes qui finissent en prison et qui continuent à porter leur collier de perles. La modernité du féminisme, c’est ça aussi. Tu peux être une femme séduisante qui aime se mettre belle tout en levant le poing et en allant se battre. Tout ça est conciliable. C’est cette vision globale de l’héroïne que j’avais envie de montrer. On s’est tellement fait raconter des histoires d’hommes forts et vainqueurs, mais c’est beau aussi, des femmes fortes. De rendre ça accessible et non unidimensionnel, c’était très important pour moi. »

Pousser droit et fier

 

Écrit et pensé pour les enfants, Nos héroïnes s’est imposé de lui-même dans le parcours de l’auteure. « Il fallait que je m’adresse à nos enfants. Pendant l’écriture, j’étais branchée sur eux. Je leur parlais, c’est à eux que je m’adressais. J’ai d’ailleurs réalisé que, grâce au livre, les femmes allaient faire partie de la mémoire collective des enfants. Je parle déjà de Rosa Parks, de Frida Kahlo, de Marie Curie à mes enfants, et ils jouent à être ces personnages. Ça fait partie de leur imaginaire autant que Spider-Man et la Reine des neiges. Je me dis alors : pourquoi pas Marie Gérin-Lajoie ? Si la Reine des neiges peut exister aussi fortement, je suis certaine que nos héroïnes québécoises le peuvent aussi. »

Mais au-delà de cette volonté de faire connaître ces femmes qui ont forgé notre histoire, Anaïs Barbeau-Lavalette porte en elle et à travers ce livre un désir plus grand nourri d’espérance. « Je trouve qu’on est dans une époque lourde à porter et j’aimerais que les enfants sachent qu’on peut encore avancer dans le monde de façon lumineuse. Ils doivent sentir qu’ils ont une marge de manoeuvre, qu’ils ont un pouvoir, qu’ils peuvent grandir en faisant partie de ce monde-là, en se l’appropriant, en l’inventant à leur façon. Et j’aimerais que les petites filles et les petits garçons s’approprient ces héroïnes, qu’elles nourrissent leur fierté, qu’elles les encouragent à participer au monde. »

La mémoire collective, l’importance de faire partie d’un tout pour mieux marcher ensemble vers demain, participe de la démarche de l’auteure, qui est avant tout une mère et une citoyenne. « Ce que j’ai envie de partager avec ce livre, ce sont des prises de pouvoir sur le monde, et c’est notre rôle en tant que parents de transmettre ça. » Le 10 novembre il y aura une marche pour la suite du monde dans tout le Québec pour exprimer notre désir de participer de façon individuelle et collective à la lutte contre les changements climatiques.

« Cette marche, autant que mon livre, s’inscrit dans cette même volonté de participer à un grand tout. J’aimerais que les petits vivants puissent pousser droit et être fiers d’être des êtres humains sur terre. Le livre permet une certaine perspective sur l’histoire, permet de comprendre que ces héroïnes ont, elles aussi, vécu dans un monde difficile. Elles perdaient leurs enfants à cause de la petite vérole, elles ne pouvaient pas choisir leur chef de pays ou leur mari. Mais elles ont avancé. C’est clair que ça relativise et fait prendre conscience du chemin parcouru. Oui, il y a encore du chemin à faire, mais il faut se tenir debout et ne pas perdre espoir. »

Anaïs Barbeau-Lavalette sera au Salon du livre de Montréal le samedi 17 novembre.

Critique de «Nos héroïnes»

Nos héroïnes, ce sont Kenojuak Ashevak, Marie Morin, Marthe Pellan, Madeleine Arbour, Mary Two-Axe Early, Irma LeVasseur et, au total, une quarantaine de femmes qui ont su, à force de détermination, de persévérance — et d’amour aussi, beaucoup — tracer un chemin nouveau leur permettant d’aller au bout de ce qui les anime profondément, et ce, malgré des vents souvent contraires. Dans un style à la fois concis et empreint de douceur, Anaïs Barbeau-Lavalette livre des portraits francs qui témoignent d’un respect infini envers ces héroïnes. Maternelles, amoureuses, fonceuses mais aussi fragiles, elles sont avant tout ici des femmes entières et complexes, loin des clichés convenus mille fois entendus. Le choix varié des portraits — incluant des sportives, des journalistes, des artistes canadiennes-françaises, cries, métisses — participe par ailleurs de cette singularité. Chaque petite biographie est accompagnée d’un portrait illustré de l’héroïne signé par Mathilde Cinq-Mars, dont le trait, à la fois réaliste et aérien, épouse le propos enveloppant d’Anaïs et offre ainsi une représentation naturelle et organique de nos aïeules.


Anaïs Barbeau-Lavalette et Mathilde Cinq-Mars,
Marchand de feuilles,
Montréal, 2018, 95 pages

★★★★


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