«Radio-Vérité»: les dérives de l’activisme populiste

Jean-Jacques Pelletier orchestre l’action de son livre autour d’une station de radio «qui parle des vraies affaires au vrai monde»…
Photo: Marie-Hélène Tremblay Jean-Jacques Pelletier orchestre l’action de son livre autour d’une station de radio «qui parle des vraies affaires au vrai monde»…

Alors que partout l’expression fake news suscite des débats enflammés, Jean-Jacques Pelletier propose pour son retour chez Alire — après quelques années aux éditions Hurtubise — une histoire sur les dérives de l’activisme populiste.

Personne ne s’étonnera de le voir orchestrer l’action de son livre autour d’une station de radio « qui parle des vraies affaires au vrai monde »…

 

Tout part en vrille lorsque l’animateur-vedette de cette radio-poubelle, Radio Vérité, est enlevé.

Depuis sa célèbre série des Gestionnaires de l’Apocalypse, on a l’habitude de voir Pelletier truffer ses récits de passages tirés de manchettes de journaux, de vox pop radiophoniques et de médias sociaux.

Cela donne à son écriture une rythmique bien particulière entrecoupée constamment de citations référant à l’actualité ; encore ici, le procédé s’avère fort efficace.

Il rappellera même aux plus vieux avec quelle fébrilité ils étaient rivés à leur appareil radio à l’affût du moindre communiqué du FLQ durant la crise d’Octobre.

Intérim à la tête du SPVM

C’est un personnage clé de l’univers de Jean-Jacques Pelletier, l’inspecteur Théberge, Gonzague de son prénom, qui est chargé de l’enquête. Le vieux routier vient tout juste d’accepter, presque malgré lui, un intérim de trois mois à la tête du SPVM.

Théberge fulmine, et le fait d’avoir, en plus, à retrouver un homme qui a bâti sa carrière en crachant sur « les maudits BS », « les politichiens » et « les policiers corrompus qui se pognent le beigne » le met dans tous ses états.

Lorsque les ravisseurs diffusent un communiqué exigeant la fermeture de la station et une rançon astronomique, Théberge comprend que la situation risque de dégénérer.

 

Et elle dégénère, bien sûr, parce que Radio Vérité et ses fans, les V, se mêlent de l’enquête pour retrouver Sébastien Cabot dit Seb le Cleb. Des manifestations spontanées surgissent un peu partout à l’appel des auditeurs encouragés par les animateurs de la station et, bientôt débordées, les autorités paniquent ; encore plus quand, lors d’une « perquisition citoyenne » des V à l’île des Soeurs, un homme perd la vie.

Pendant ce temps, le lecteur aura droit à la confrontation entre le ravisseur et l’animateur de radio qui arrivera peu à peu, sous la menace, à saisir l’ampleur de son oeuvre.

De son côté, Théberge parvient à comprendre ce qui se trame, du côté des agitateurs comme de celui des ravisseurs, sous les apparences de conflit social et de quasi-guerre civile.

Avec l’aide de son nouveau bras droit, Frédérique Roussel — une nerd rappelant l’équipe d’enquêteurs hors normes que l’inspecteur Dufaux avait mise sur pied dans les romans de Pelletier publiés chez Hurtubise —, il identifie ceux qui tirent vraiment les ficelles d’un côté comme de l’autre : la surprise est de taille.

Au bout du compte, il réussira, après avoir perdu quelques plumes et un ami, à faire résonner « la vraie vérité » et à résoudre l’affaire avant que l’anarchie s’installe.

Extrait de «Radio-Vérité»

— Si c’est pas moi, ça va être quelqu’un d’autre, répond Cabot en s’efforçant de contrôler son exaspération. C’est juste une affaire de fric, man. Tu leur donnes ce qu’ils veulent et ils payent. C’est ça, la démocratie !

— La démocratie des cotes d’écoute.

— C’est pourtant pas compliqué ! répond Cabot, excédé… Pas de cotes d’écoute, pas de fric. Pas de fric, pas de radio. Pas de radio, pas de démocratie… Sais-tu quoi ? Si je la faisais pas, la job, qui est-ce qui la ferait ? Qui s’ouvrirait la trappe pour dire ce que les autres ont peur de dire ?

— Quels autres ?

— Tout le monde ! Mais je pense surtout aux radio-la-bouche-en-cul-de-poule où tu peux rien dire ! Criss, ils ont même peur de mettre de la vraie musique ! À la télé, c’est encore pire : les seules personnes qu’ils se risquent à planter, c’est du monde comme moi ou Maillou. Parce que ça, c’est sécuritaire : toutes les tites-madames et tous les ti-messieux du CRTC vont applaudir ! C’est une hostie de belle gang d’hypocrites !

— Tandis que tes amis de Radio-V…

— Ben oui ! Mes amis de Radio-V… On n’est peut-être pas certifiés BCBG bio-équitables politiquement rectifiés, mais nous autres, on parle des vraies affaires !

 

Radio-Vérité

★★★

Jean-Jacques Pelletier, Alire, Lévis, 2018, 333 pages



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