La bibliothèque publique, une richesse sous-exploitée

Qui n’aime pas sa bibliothèque ? Si on trouvera toujours quelques cas, au Québec, de manière générale, « les usagers sont toujours très satisfaits de leur bibliothèque publique », déclare le président de l’Association des bibliothèques publiques, Denis Chouinard. « Si satisfaits que, souvent, ils ne voient pas à quel point l’offre pourrait être améliorée. » Et les villes, globalement, partagent cette vision, contentées. Une vision heureuse qui freine, paradoxalement, l’évolution de ces lieux. Discussion, à l’aube de la 20e semaine des bibliothèques publiques.
« On parle de plus en plus, et en bien, des bibliothèques », analyse Denis Chouinard, qui oeuvre lui-même depuis 31 ans à la bibliothèque de Mont-Royal. « Même au sein des municipalités. Mais il y a un pas qui ne se franchit pas. On voit la reconnaissance des bibliothèques passer par de l’argent pour la construction et la rénovation. C’est sûr que les locaux sont essentiels. Mais le financement des ressources humaines ne suit pas. »
Les bibliothèques ne sont plus, on le sait, de simples dépôts de livres. Poussées par la vision de « tiers lieux » — ces endroits publics, comme les cafés, les parcs, où s’installent une vie sociale active, des partages et des habitudes individuelles —, les villes et les municipalités, qui financent les bibliothèques, ont beaucoup encouragé la rénovation et la construction. Mais le tiers lieu touche aussi l’offre des bibliothèques, et la transforme.
En plus des traditionnelles heures du conte ou des rencontres d’écrivains, on peut y trouver des ateliers de francisation, d’introduction à la technologie, de rédaction de curriculum vitae, ou de tricot. Au Québec, on peut maintenant emprunter des graines pour son jardin ou des instruments de musique, autant que des jeux vidéo et des livres. Les bibliothèques cherchent également à développer davantage leurs fonctions sociales et communautaires — littératie, intégration des immigrants, aide aux parents, aide aux aidants naturels, etc.
Pour animer ainsi les lieux, pour penser ces programmes-là, il faut des gens, indique M. Chouinard. « La bibliothèque publique est une ressource sous-exploitée ; on ne la considère pas encore à son plein potentiel. Alors qu’il y a des gens formés au Québec pour ça, capables de l’amener un autre niveau, pour que ses interventions touchent un spectre beaucoup plus large que le loisir culturel, et pour qu’elle réponde aux besoins de beaucoup plus de gens. »
Ainsi, 65 % des municipalités comptent à leur bibliothèque moins de quatre employés à temps complet, indiquent les données 2017 de Statbib. « Comment peuvent-ils faire pour fonctionner ? », se demande M. Chouinard, qui a la chance, à la bibliothèque de Mont-Royal, de faire partie d’une équipe de 28. Car sa bibliothèque, depuis des décennies, est exceptionnellement choyée par le conseil municipal (voir encadré). « Si on veut que même les toutes petites biblios jouent leur rôle, il faut un minimum de personnel pour les animer, et pour gérer les collections. » Actuellement, 49 % des municipalités n’emploient aucun bibliothécaire. Près de 17 % des bibliothèques n’ont pas d’employés spécialisés — ni bibliothécaire, ni technicien en documentation. Le Québec compte 0,64 bibliothécaire diplômé par tranche de 10 000 habitants, selon les statistiques de 2015. Comparativement, l’Ontario en a 1,04, la Colombie-Britannique 1,07, et les États-Unis, en moyenne 1,01.
Ce manque de financement des ressources humaines a un impact direct sur le nombre d’heures d’ouverture offertes. Les bibliothèques publiques sont encore majoritairement fermées le soir. « Est-ce normal en 2018 qu’une bibliothèque ferme à 18 h ou 19 h, alors que la majorité des usagers travaillent durant ses heures d’ouverture ? », interroge M. Chouinard. Même les horaires fixes, pour les bibliothèques d’une même ville, sont rares. Prenez Montréal, autour du quartier Villeray, par exemple : la bibliothèque Le Prévost est ouverte le lundi de 13 h à 18 h. Marc-Favreau, de 10 h à 19 h. Et Parc-Extension, de 12 h à 18 h. « C’est mêlant, estime M. Chouinard. Une personne très intéressée va trouver le moyen d’y aller. Mais les fréquenteurs moins habitués, ceux qu’il faut gagner ? »
« La vision que les villes ont des bibliothèques reste traditionnelle, estime le président. Elles ne réalisent pas qu’en investissant un peu plus, on pourrait aller beaucoup, beaucoup plus loin, et toucher beaucoup, beaucoup plus de gens. »
Afin de se faire connaître ainsi, les bibliothèques se font séduisantes pour la semaine des bibliothèques publiques, du 20 au 27 octobre. Les activités qu’elles offrent se retrouvent sur semainedesbibliotheques.ca