«La Société des grands fonds»: mécanique des fluides

« Mon éducation littéraire doit énormément à la baignoire de ma maison d’enfance. J’y passais plusieurs heures chaque jour, laissant s’écouler un mélodieux jet d’eau chaude qui recouvrait la rumeur des deux téléviseurs allumés au rez-de-chaussée », se souvient Daniel Canty dans un ouvrage où il se laisse « porter par les flots entremêlés des livres et de l’eau » — deux réalités qui, à première vue, semblent s’opposer.
Écrivain touche-à-tout et artiste multidisciplinaire, Daniel Canty, né en 1972, se mue cette fois en autobiographe précoce et livresque. Entre l’essai et le récit, il revisite dans La Société des grands fonds une série de chroniques parues entre 2008 et 2013 en feuilleton dans Le Bathyscaphe, « la revue la plus lente et la plus inactuelle du monde ».
Quelques questions pertinentes
Érudit mais pas trop, à coups de morceaux de critiques littéraires impressionnistes, Canty ravive au moyen d’une écriture précieuse et travaillée, assez fluide, le souvenir de ses premières lectures de Borges et de Salinger, évoque une rencontre avec l’écrivain néo-écossais Alistair MacLeod ou nous parle de La Société des poètes disparus. Il y raconte un dégât d’eau qui a un jour endommagé une partie de sa bibliothèque et s’amuse à prendre Les îles de la nuit d’Alain Grandbois au pied de la lettre.

Un « feuilleton aqualittéraire » au cours duquel l’auteur nous fait passer par Lachine, Vancouver et New York, au gré d’une « méthode de lecture ambulatoire » bien de son cru. À sa manière, il tente de répondre à quelques questions pertinentes. Comme celle-ci : « Pourquoi certaines oeuvres, qui n’ont qu’une influence mineure sur ce récit collectif que nous appelons “littérature”, relèvent-elles pour nous des affaires universelles ? »
Peut-être justement parce que tout est lié. « Il faut se rendre à l’évidence que la fiction est composée de la même matière que nous. Qu’elle fait aussi partie de la réalité. Ses pouvoirs d’enchantement sont le prolongement de notre nature humaine. Il n’y a donc pas de littérature fantastique, ou il n’y a qu’elle. »
Explorateur assidu de la frontière mince entre réalité et fiction, l’auteur de Wigrum et de Les États-Unis du vent (La Peuplade, 2011 et 2014), membre de l’Académie des lettres du Québec, développe depuis plusieurs années déjà une oeuvre protéiforme et souvent originale, dont le contenant est parfois aussi plus intéressant que le contenu.
Comme lorsque, dans l’un ou l’autre des textes de La Société des grands fonds, il lui arrive de plonger tête première dans la petite piscine des clichés : « Nous survivons à nos enfances, et à leurs suggestions d’immortalité. Nous apprenons à vivre en découvrant la réalité de la mort. »