«Ne m’appelle pas Capitaine»: la nécessité des temps à venir

Un être, c’est un univers en soi. Un passé, des amours, des luttes, un milieu. Le dernier roman de Lyonel Trouillot, Ne m’appelle pas Capitaine, convoque deux univers. Celui d’Aude, une jeune « gosse de riche » qui s’invite à la table du Capitaine, dans son quartier de Morne Dédé à Port-au-Prince, un lieu enclavé dans la pauvreté « d’où l’on s’en va » et « où personne ne revient ».
Aude, dit la Blanchette, n’est « qu’une indéfinition préoccupée d’elle-même ». Elle n’aime pas ce qu’elle est et cherche à se sortir d’une famille pour laquelle « le reste du monde n’a pas de nom ».

Sous prétexte d’un papier à faire dans un cours de journalisme, elle se rend chez cette vieille connaissance de son oncle, le Capitaine : « Un vieux con qui n’allait nulle part. »
« Sur cette terre divisée entre la richesse et la misère », leur réunion est délicate. L’altérité montre les dents. Toute sa vie, le passé du vieil homme « n’a eu droit qu’au silence ». Mais il porte en lui ce qu’elle ne connaît pas. Elle insiste et il sort peu à peu de sa torpeur, révélant son histoire. Ce n’est pas encore une complicité : c’est une rencontre.
L’invitation de l’auteur haïtien dans cette société ségréguée se fait à l’abri des clichés. La lutte que mènent les personnages avec leurs contradictions et leurs souvenirs est sensible. Dans un style tantôt hachuré, tantôt ample, Trouillot se fait attentif et précis, créant des moments de tension dont les chutes, salvatrices et sagaces, nous libèrent.
Ne m’appelle pas Capitaine convoque l’humanité en nous et annonce une rencontre nécessaire avec cette altérité, riche et effrayante, qui nous perdra ou nous fera ériger des ponts.
Une belle invitation à aller vers l’inconnu, puisque « les choses ne finissent pas forcément où elles commencent. »