«Francœur»: chronique d’une mort annoncée

Il peut arriver que, par amour, par vengeance ou par peur, quelqu’un se retrouve en prison. C’est à la fois tout cela qui a mené « en dedans » le personnage qui est au centre du dernier roman de Mathieu Blais, Francœur, l’anti-héros d’une « crisse d’histoire d’amour pas possible ».
Une partie de son histoire nous est racontée par le narrateur, un détenu du pénitencier de Sainte-Anne-les Bains sur lequel on apprendra peu de choses, sinon qu’il est Noir, se fait appeler Bronco et a une prédilection particulièrement sentie pour les métaphores — un effet secondaire, peut-être, de la vie prolongée derrière les barreaux.

Entre le dégoût et le respect qu’il éprouve pour « le chien fou à Francœur », les envolées lyriques et quelques réflexions sur la réalité carcérale, Bronco nous raconte ce qu’il sait de cet homme sans le moindre passé criminel, un gars de Sorel qui s’est retrouvé en prison du jour au lendemain pour avoir fait sauter par désespoir amoureux le local des Hells Angels.
Ainsi, parce que la tête du héros a été mise à prix par un groupe de motards criminels bien connu, Francœur est en quelque sorte la « chronique d’une mort annoncée ».
Un grand sec, un innocent, un personnage fantasque et inconscient « qui se faisait aller la gueule comme un caquiste la veille des élections », Maxime Francœur connaîtra un séjour en prison qui ne sera pas de tout repos. Il tenait un journal de détention, écrivait des poèmes et de longues lettres à la Rosemarie pour qui il avait tenté l’impossible. « Ce n’était pas un bum, il n’avait pas l’once de l’ombre du souffle d’une méchanceté. »
On ne se rend pas compte. En tout cas, pas tant qu’on y a les deux pieds et le cul coincé, mais la proximité avec les autres, l’habitude du quotidien, celle de revoir toujours les mêmes visages aux mêmes places, dans les mêmes lieux, avec le même linge, les mêmes piercings, les mêmes tatouages, les mêmes histoires et les mêmes jokes plates, ça ressemble en estie au jour de la marmotte. Bill Murray en moins. Ç’a un goût de famille, comme un rot de bagosse, et y a pas grand-chose à y faire.
Et Bronco, qui en était proche sans être son ami, nous raconte avoir « hérité » de la mémoire de Maxime Francœur. Il essaie, à partir d’anecdotes qu’il lui a fallu entendre mille fois, de raconter au plus près l’homme qu’il a brièvement connu. Il sert sa légende, en admiration sans le dire devant la liberté un peu mystique qui était celle de Francœur. Libre même entre quatre murs, et même s’il s’agissait d’une liberté nourrie d’un grain de folie. Comme « une petite bête du Bon Dieu ».
En guise de point de départ, Mathieu Blais s’inspire ici très librement d’un fait divers qui avait fait les manchettes en 2008 : un spectaculaire attentat au camion-citerne qui avait détruit le bunker des Hells à Sorel, conséquence incontrôlée d’un triangle amoureux isocèle. Bronco, qui s’improvise philosophe en résidence, a bien raison : « Le réel est un goon tellement plus imposant que la fiction. »
Au moyen d’une oralité bien sentie, reposant sur une voix narrative plausible malgré ses excès, l’auteur de La liberté des détours et de (Sainte-famille) nous donne ici un autre roman un peu noir qui explore lui aussi le destin incongru d’un criminel de circonstances.