«Oneiron»: au seuil de la mort

Dans le roman de Laura Lindstedt, la fiction devient parfois poésie, théâtre, coupures de journaux ou essai.
Photo: Francesca Mantovani Gallimard Dans le roman de Laura Lindstedt, la fiction devient parfois poésie, théâtre, coupures de journaux ou essai.

C’est par la parole que tout commence, et il suffit parfois de nommer les événements pour qu’ils adviennent. Dans Oneiron, plus récent roman de Laura Lindstedt, sept femmes se retrouvent dans un endroit étrange, hors du temps. Apparemment mortes, elles doivent raconter leur vie afin de redevenir souveraines d’elles-mêmes et d’assurer leur salut.

C’est avec l’arrivée d’Ulrike, jeune femme de 17 ans, que l’auteure finnoise nous propose son univers. Ulrike est la dernière à rejoindre ce groupe de sept femmes de tous les âges venues des quatre coins du monde, réunies malgré elles dans ce lieu qui s’apparente à un désert, fait « d’une blancheur dure, sans ombre, blessant les yeux ».

Leur vulnérabilité est grande et l’une d’elles propose de s’accrocher « au plus petit dénominateur commun ». Ici, le fait d’être femme. Une solidarité s’installe, le groupe impromptu devient clan, mais les questions sont nombreuses. Comment sont-elles arrivées là ? Pourquoi y sont-elles ?

Ce n’est pas la vie, mais ce n’est pas tout à fait la mort non plus. C’est un espace à habiter, et les femmes conviennent, « avec plus ou moins de sérieux, plus ou moins de gaieté résignée ou d’accablement glauque », de le nommer « au-delà ». Elles créent un abri de leurs vêtements et se réunissent autour d’une perruque rouge, comme un feu leur procurant chaleur et réconfort. Et alors, à tour de rôle, elles remontent le fil de leurs souvenirs et s’offrent le récit de leur vie.

Le chemin est cahoteux, leurs histoires étant traversées de violences, d’anorexie, de cancer, de maternité et d’amour aussi, mais c’est au bout de la parole, par la nomination de leur vécu, que se trouve cette paix qu’elles tentent de rejoindre. Le repos de la mort.

Dans ce roman déconstruit, la fiction devient parfois poésie, théâtre, coupures de journaux ou essai. L’auteure déploie un style ample, au souffle généreux, et se révèle fort habile à naviguer dans cette hybridation des genres, multipliant les angles d’approche de ses thèmes et dépassant le simple pathos. Si l’approche essayistique garde parfois l’émotion à distance, elle alimente une réflexion sur ces femmes, belles de toute leur force, qui n’apparaissent jamais en victime.

La posture de la romancière trouve certainement ancrage dans les mots d’une de ses personnages, Shlomith, qui explique sa pratique de la performance artistique : « Je ne défends rien, je suis une artiste. Je montre, je ne professe rien, tout le reste n’est qu’interprétation. » Lindstedt montre la violence, soulève des enjeux de la condition féminine, mais se garde bien d’adopter un ton impérieux. Sa position est complexe, ouverte, et s’incarne dans la parole de ces femmes qui, même de l’au-delà, reprennent le contrôle de leur destinée. Et avec elles, nous élèvent.


Oneiron

★★★★

Laura Lindstedt, traduit du finnois par Claire Saint-Germain, Gallimard, Paris, 2018, 448 pages

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