Ramdam à la revue «Jeu»

Malgré la démission en bloc de ses collaborateurs, la direction de la revue «Jeu» refuse d’y voir une crise.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir Malgré la démission en bloc de ses collaborateurs, la direction de la revue «Jeu» refuse d’y voir une crise.

La rédaction de la revue de théâtre Jeu est en crise. Le média, fondé en 1976 et consacré aux arts vivants, a reçu la démission en bloc de cinq de ses collaboratrices la semaine dernière, dont trois sont membres du comité de rédaction. Un sixième a suivi l’élan jeudi.

Des divergences sur la manière de traiter des enjeux éthiques comme la représentativité (raciale et de genre) et l’appropriation culturelle minaient l’ambiance depuis quelque temps. La publication en ligne d’une chronique du rédacteur en chef, Raymond Bertin, est la goutte qui a fait déborder le vase.

La direction de Jeu refuse d’y voir une crise. La situation est triste, reconnaît-on. Mais sans plus. « Dans tous les organismes, il y a des gens qui arrivent, qui partent, ça fait partie des règles du jeu. Mais ce n’est pas plus bouleversant que ça », laisse entendre Michelle Chanonat, présidente de son conseil d’administration.

Sara Dion, Myriam Stéphanie Perraton-Lambert et Mélanie Carpentier (aussi collaboratrice au Devoir) ainsi que les stagiaires Julie-Michèle Morin et Melissa Pelletier ont annoncé leur départ par voie écrite. Leur décision a déclenché la démission, par solidarité, de l’édimestre Christian Saint-Pierre (collaborateur au Devoir), ex-rédacteur en chef et directeur de 2011 à 2017. « Je n’ai d’autre choix, parce que je ne me reconnais plus dans la gestion et dans certains des choix éditoriaux, que de quitter Jeu », indiquait jeudi M. Saint-Pierre sur sa page Facebook.

« Tout ça planait depuis un moment », a indiqué une des journalistes contactées par Le Devoir, et ces impressions se sont renforcées et confirmées quand le rédacteur en chef a publié une chronique sur les débats entourant les spectacles de Robert Lepage SLĀV et Kanata.

La manière dont le comité de rédaction a été consulté a dérangé, notamment parce qu’il avait été annoncé comme éditorial, ce qui suppose qu’il doit être approuvé par les membres dudit comité. « On nous a consultés à la dernière minute, par courriel avant publication, et les craintes et objections bien argumentées qu’on a soulevées ont été ignorées. »

Notre désir de contribuer à décoloniser les arts n’est pas un projet secondaire ou une posture variant au gré de nos affinités et émotions. Il en est de même pour la défense de la diversité de genres et pour la valorisation d’une variété de discours et d’approches rédactionnelles.

 

Pas suffisamment inclusive

Rédacteur en chef depuis 2017, Raymond Bertin reconnaît que ce texte aura été la goutte de trop. « Le vase était très plein depuis un certain temps. Elles avaient déjà laissé entendre qu’elles pensaient partir », dit-il, qualifiant la lettre de démission de coup « violent ».

Dans la missive, dont Le Devoir a obtenu copie, le groupe semble notamment reprocher le manque de collégialité dans le fonctionnement de la revue, le manque de clarté des orientations éditoriales et l’impression d’une communication unidirectionnelle de la part de la direction.

Sur la question de l’inclusion, thème au coeur du débat, les journalistes déplorent qu’à la vue du texte publié, « le travail de longue haleine n’a pas eu les effets attendus sur l’orientation que nous souhaitons voir prendre la revue ».

Au téléphone, Michelle Chanonat et Raymond Bertin se sont montrés choqués que ce conflit interne devienne public. Chacun a rappelé que Jeu sera toujours animé du débat d’idées et de l’esprit d’ouverture qui le caractérisent.

« On a toujours fait attention à la diversité, commente Mme Chanonat. Regardez les sommaires de la revue, il y a des gens de tous bords qui viennent écrire chez nous. On est très inclusifs. »

Les journalistes semblaient s’attendre à plus. « Notre désir de contribuer à décoloniser les arts n’est pas un projet secondaire ou une posture variant au gré de nos affinités et émotions. Il en est de même pour la défense de la diversité de genres et pour la valorisation d’une variété de discours et d’approches rédactionnelles », lit-on dans la lettre de démission.

« Il y en a pour qui les choses ne vont pas assez vite. Il faut laisser le temps se placer », riposte Raymond Bertin, qui promet que Jeu continuera à évoluer.

Malgré la perte de trois de ses membres, le comité de rédaction demeure fonctionnel, selon la direction. De toute façon, insiste M. Bertin, « il faut passer à d’autre chose ».

Ces questions et tiraillements au sein de l’équipe éditoriale ne sont pas sans rappeler ceux qui ont secoué la revue littéraire XYZ au début de l’été, menant à la démission de la directrice littéraire Vanessa Courville. Le renouvellement auquel le milieu des revues fait face ne vient, en effet, pas sans tensions.

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