Nelson Mandela inédit

Jour après jour pendant les 27 années de sa détention, Nelson Mandela a écrit pour réclamer des traitements décents, pour lui ou pour ses proches, pour ses compagnons de lutte.
Photo: Shipiwe Sibeko Agence France-Presse Jour après jour pendant les 27 années de sa détention, Nelson Mandela a écrit pour réclamer des traitements décents, pour lui ou pour ses proches, pour ses compagnons de lutte.

Lorsque Nelson Mandela s’est fait arrêter pour la première fois, il voyageait avec un militant antiapartheid blanc, le directeur de théâtre Cecil Williams. Recherché pour ses activités dans l’African National Congress (ANC), Mandela s’était fréquemment déguisé en chauffeur d’un Blanc pour éviter les ennuis. Mais cette fois, c’était Williams qui conduisait.

Cette arrestation, et la condamnation qui a suivi, a marqué le début de 27 ans de détention. Vingt-sept longues années au cours desquelles le militant ne baisse ni la tête ni les bras. C’est ce dont témoignent ses 800 lettres inédites, traduites en français sous le titre Lettres de prison de Nelson Mandela et publiées chez Robert Laffont, à l’occasion de l’anniversaire de son arrestation.

C’est aussi le début d’une résistance obstinée, têtue, toujours digne et respectueuse, convaincue de sa pertinence. Une résistance qui est palpable à chaque ligne que Mandela adresse à ses geôliers, mais qui lui a aussi coûté la joie, durant toutes ces années, de voir grandir ses enfants.

À Winnie Mandela, son épouse d’alors, le 20 juin 1970

« Au cours des huit années de solitude passées derrière les barreaux, j’ai souvent souhaité que nous soyons nés à la même heure, que nous ayons grandi ensemble et passé chaque minute de notre vie en compagnie l’un de l’autre. Je crois sincèrement que si tel avait été le cas, je serais devenu un sage. »

Une résistance qui rime avec détermination, mais aussi avec candeur, raconte la journaliste Lucie Pagé, qui a personnellement connu Nelson Mandela et qui signe la préface québécoise de ces lettres.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Lucie Pagé

« Vingt-sept ans de prison, cela formeun homme, reconnaît celle qui a épouséle militant antiapartheid et ancien ministre de Nelson Mandela Jay Naidoo. Mandela était un homme d’une grande douceur, ferme, mais dans le bon sens. Il n’avait pas une once de méchanceté. Il était toujours juste. C’était un homme d’une justesse extraordinaire. Mais le plus frappant, c’était sa candeur. Les titres ne l’impressionnaient pas, que vous soyez reine, ministre ou concierge. Cette intégrité, cette probité, transparaît dans ces lettres », dit-elle.

C’est donc d’un ton égal, à la fois respectueux et ferme, que Mandela écrit, jour après jour, au fil des mois et des années, pour réclamer des traitements décents, pour lui ou pour ses proches, pour ses compagnons de lutte.

Le simple fait d’écrire et de recevoir des lettres est une bataille. Au début de sa détention, à la prison de Robben Island, « les prisonniers pouvaient renoncer à une visite en échange de la réception de deux lettres ».

Six ans après sa condamnation, Mandela écrit à son avocat. Les perturbations de sa correspondance, écrit-il, indiquent « une volonté et une politique délibérées de la part des autorités de me couper et de m’isoler de tous contacts avec l’extérieur, de me frustrer et de me démoraliser, pour m’amener au désespoir et éventuellement me briser ».

Ces lettres de prison dévoilent la pièce manquante de cet homme, pourtant un des plus connus de la planète

Mandela est resté au grade D, qui prévoit les pires conditions de vie pour les prisonniers, pendant dix ans. Pour les autres prisonniers, cette période était limitée à six ans.

En 1968, il se voit refuser d’assister aux funérailles de sa mère. « Il n’a jamais été facile pour personne de perdre sa mère tant aimée. Derrière les barreaux, un tel malheur peut être un désastre destructeur », écrit-il à l’avocat Knowledge Guzana.

Un an plus tard, c’est au tour du fils aîné de Mandela, Madiba Tembekile, de périr dans un accident de voiture, alors que son père et sa mère sont emprisonnés. Encore une fois, Mandela se fait refuser le droit d’assister aux funérailles.

À ces tentatives de le « briser », il répond par la persévérance.

Tout en reconnaissant son soutien à l’ANC, il se défend, auprès du ministère de la Justice, d’avoir été membre du Parti communiste. Pour lui, cette allégation n’est qu’une manoeuvre de ses détracteurs pour le faire radier du Barreau. Il fait aussi des démarches répétées auprès des ministres pour que soit levée l’assignation à résidence de sa femme Winnie Mandela.

Durant sa détention, en plus de terminer son droit, Mandela apprend l’afrikaans, la langue des Afrikaners, qui était aussi la langue des gardiens de la prison. Cet apprentissage de la langue des Blancs sud-africains jouera plus tard un rôle majeur dans ses discussions avec le dernier gouvernement blanc d’Afrique du Sud, celui du président De Klerk. Le jour de sa première adresse à la nation, Mandela lira d’ailleurs un poème de la poète afrikaner Ingrid Jonker, Die Kind, qui signifie The Child, en afrikaans.

Dans une lettre au président d’Afrique du Sud de l’époque, Pieter Willem Botha, le 13 février 1985

« La confrontation qui vient ne sera détournée que si les mesures suivantes sont prises sans délai.

1. Le gouvernement doit renoncer le premier à la violence.

2. Il doit mettre un terme à l’apartheid.

3. Il doit mettre fin à l’interdiction de l’ANC.

4. Il doit libérer tous ceux qui ont été emprisonnés, assignés à résidence, ou exilés pour leur opposition à l’apartheid.

5. Il doit garantir une activité politique libre. »

Lucie Pagé raconte pour sa part que Nelson Mandela lui a un jour dit avoir appris l’afrikaans en prison « pour pouvoir mieux négocier avec mes ennemis et parler à leur coeur et non à leur tête ».

Pour Lucie Pagé, ces lettres témoignent aussi de la profonde spiritualité de Nelson Mandela. « J’ai été renversée en lisant ces lettres pour diverses raisons, dit-elle. Je ne savais pas qu’il était si profondément spirituel. »

« Ces lettres de prison dévoilent la pièce manquante de cet homme, pourtant un des plus connus de la planète. Ce qu’on y retrouve est ce qu’il y a de plus sacré chez un être humain : son intimité », écrit-elle dans sa préface.

Nelson Mandela appelait souvent chez elle pour parler à son ministre, à 3 h du matin, parce que c’était à cette heure-là que commençait sa journée.

Lui qui avait tant souffert d’être séparé de sa famille s’enquérait toujours, en premier lieu, dit-elle, « quelle que soit la raison de sa visite ou de son appel, du bien-être de mes enfants et du mien, avant la pressante question nationale dont il devait discuter avec mon mari, ministre dans son cabinet ».

De la force résiliente et candide de ce géant de l’histoire du monde, il reste bien plus que ces centaines de lettres mesurées et signées entre les murs d’une geôle. Il reste un germe d’espoir pour l’humanité.

Les lettres de prison de Nelson Mandela

Robert Laffont, Paris, 2018, 768 pages



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