«Dans les pas d’Alexandra David-Néel»: sur les traces de l’orientaliste

C’est devenu depuis longtemps le sort des voyageurs modernes : l’impression d’arriver trop tard. Que l’on soit motivé par la nostalgie ou par des fantasmes de découverte, le monde semble avoir été décrit cent fois, cartographié, trahi, piétiné.

C’est avec des étoiles dans les yeux, mais sans trop d’illusions, qu’Éric Faye et Christian Garcin, deux romanciers et essayistes plutôt prolifiques, ont mis leurs pas dans ceux de la mythique voyageuse et orientaliste française Alexandra David-Néel (1868-1969), la toute première Européenne à avoir mis les pieds à Lhassa, « Rome du lamaïsme » et capitale du Tibet.
En 1924, après avoir traversé à pied sur presque 2000 kilomètres le Tibet déguisée en mendiante, Alexandra David-Néel était restée deux mois à Lhassa complètement incognito en compagnie du jeune lama Aphur Yongden, qui deviendra son fils adoptif en 1929. Un exploit qui recouvre un intérêt sans fin pour les cultures et les mystères de l’Asie centrale.
« Le Tibet actuel est en théorie accessible à tous, mais d’une accessibilité trompeuse. » En 2015 et en 2017, passant des cols de 5000 mètres en 4x4, avec guide et chauffeur (nous sommes en Chine, ne l’oublions pas), multipliant les voyages en train au coeur de la Chine, les rencontres et les hôtels miteux, ils ont essayé de voir autant que d’imaginer ce qu’a pu voir l’aventurière au cours de ses multiples voyages dans la région.
Pour les deux Français, qui relatent un peu sagement leur expérience au moyen d’un curieux « Je » indistinct, faire coïncider leur voyage avec la chronologie de celui d’Alexandra David-Néel importait peu. « Ce qui comptait, c’étaient les traces, réelles ou fantasmées, c’étaient nos pieds dans ses empreintes, c’étaient nos yeux qui verraient à nouveau les mêmes lieux, les mêmes couleurs, les mêmes reliefs, les mêmes bâtiments qu’elle… »
Mais depuis la publication de son Voyage d’une Parisienne à Lhassa en 1927, le Tibet, « dont la densité de population est proche de rien », avait changé de façon considérable. La Chine elle aussi se métamorphose, avance et assimile.
« Peut-on imaginer que Lhassa devienne un jour une ville “comme les autres” à force d’être desservie par les trains à grande vitesse et des vols low cost ? » On le peut, nous disent-ils, avant de prendre la mesure, ici et là, de l’inéluctable.
Et pour Faye et Garcin, qui avaient déjà écrit et voyagé ensemble (En descendant les fleuves. Carnets de l’Extrême-Orient russe, Stock, 2011), seule l’irréductible dévotion religieuse des Tibétains semble préserver le territoire d’être à jamais aplati par le rouleau compresseur chinois.
Malgré tout, le voyage en vaut-il la peine ? « On n’en revient pas indemne, si tant est que l’on en revienne », nous révèle l’un d’entre eux. Tout comme cette « femme aux semelles de vent » qui n’en était jamais vraiment revenue.
Extrait de « Dans les pas d’Alexandra David-Néel. Du Tibet au Yunnan »
« Le Tibet est ce grenier du monde où l’on ne monte presque jamais, où dorment les secrets de famille dans des malles à souvenirs. Longtemps, il a fallu tromper la vigilance des maîtres de maison pour se hisser là-haut. C’est bien ce qui, au moment de quitter Lhassa, m’a laissé penser que je n’y retournerais jamais : le fait d’avoir foulé l’impossible, le mythique ; une zone si longtemps cachée de la vue du monde qu’elle n’en fait pas encore véritablement partie. Des mois après ce voyage, je peine toujours à croire que je n’y suis pas allé autrement qu’en rêve. »