L’enquête ornithologique d’un écrivain biologiste

Comme beaucoup de perroquets, le cacatoès à huppe jaune Snowball, originaire d’Australie, a été vendu ou donné à quelques reprises avant d’aboutir dans une famille de l’Indiana. Il avait 6 ans.
Il en avait le double à la fin de la dernière décennie, quand sa maîtresse, la fille de la maisonnée, est partie étudier à l’université. Snowball ne l’a pas pris. Il avait été abandonné une nouvelle fois. Il est devenu grincheux et morose.
Le père de famille s’est résolu à le confier à un refuge spécialisé. Il remit aussi aux soigneurs un CD (c’était l’époque) des Backstreet Boys en leur recommandant de le faire jouer et de « regarder ce qui se passe ».
Ce que la fondatrice du refuge a vu l’a tellement amusée qu’elle l’a filmé et mis en ligne. Snowball, perché sur le dossier d’un fauteuil, dodelinait de la tête et frappait de la patte sur le tube Everybody. Il avait aussi tout un look avec sa crête iroquoise.

La vidéo a rameuté 200 000 visionnements en une semaine et plus de 10 millions 10 ans plus tard. Snowball a été invité sur les plateaux de télévision et fait de la pub jusqu’en Suède.
La vedette à la huppe a aussi attiré l’attention du professeur de psychologie Aniruddh Patel, qui décida d’étudier sérieusement son sens du rythme jusqu’à copublier dans la revue Current Biology ses « Preuves expérimentales de la synchronisation à un rythme musical chez un animal non humain ». Jusque-là, les savants réservaient la synchronisation aux pulsations musicales aux seuls humains.
Le jeune Américain Noah Strycker raconte cette intrigante histoire dans un chapitre de son livre passionnant Ce que les oiseaux disent de nous (Flammarion). Son enquête ornithologique expose bien d’autres traits caractéristiques fascinants des bêtes à plume tout en proposant chaque fois des parallèles avec le monde des humains.
« En écrivant ce livre, je me suis rendu compte que les oiseaux ont beaucoup de points communs avec les humains », a expliqué cette semaine le jeune ornithologue en entrevue téléphonique. « C’était donc l’évidence : je devais nous comparer. C’est devenu un livre sur les oiseaux, mais aussi sur nous-mêmes et sur notre façon de les étudier. »
Une passion
Sa propre passion quasi maladive pour les oiseaux a été déclenchée à la fin de ses études primaires, quand son enseignante a installé une mangeoire à la fenêtre de sa classe. Les oiseaux sont venus et la passion folle avec. « C’est tout ce que ça m’a pris. J’ai été accroché à partir de là. J’ai immédiatement su que je voulais étudier les oiseaux. Ils sont fascinants, colorés et ils chantent. Ils sont partout et pour voir de nouveaux oiseaux il faut voyager, parfois dans des endroits reculés. »
Il en sait quelque chose. Noah Strycker détient le record homologué d’observations pendant un « grand tour » mondial, équivalant à une année de calendrier. Il a réalisé le sien en 2015, visité 40 pays et 7 continents où il a observé plus de 6000 espèces au total.
Son livre tout juste traduit est divisé en 13 chapitres exposant une caractéristique de la physiologie, de la personnalité ou de l’intelligence aviaire en la liant à chaque coup à une espèce en particulier. Par exemple, ce qui permet de comprendre et d’expliquer comment les pigeons se dirigent, l’étonnante capacité des pies capables de se reconnaître dans un miroir ou l’esthétique de séduction des oiseaux jardiniers.
Un talent
Dire simplement que l’ouvrage se lit comme un bon roman ne lui rend pas justice. Noah sait raconter et il émaille son récit d’anecdotes tirées de l’histoire des sciences et des recherches ornithologiques. Dès les premières pages, il raconte qu’un puffin lâché à Boston est rentré 12 jours, 12 heures et 31 minutes plus tard en Grande-Bretagne après avoir parcouru sans arrêt une moyenne de 400 km par jour et nuit.
Au dernier chapitre, il parle des prouesses gigantesques des albatros. Certains parcourent 3000 km d’une traite juste pour trouver de quoi nourrir leurs poussins. Les plus vieux vivent peut-être centenaires et restent assurément en couple toute leur longue vie.
« Seules 3 % des quelque 5000 espèces de mammifères qui existent dans le monde sont considérées comme étant socialement monogames », écrit alors M. Strycker en notant plus loin que 40 % des mariages humains se terminent par un divorce. « Outre l’homme, cette liste comprend le loup, le castor et un campagnol des prairies étonnamment sentimental. En revanche, 90 % des espèces aviaires se choisissent un partenaire durable. »
Entre ces deux blocs, il est question de l’habitude des poules à picorer selon une stricte hiérarchie de pouvoir que les savants ont mis un siècle à comprendre. Ou des pies, qui savent cacher et retrouver de la nourriture sur un immense territoire. Ou encore des nuées de passereaux qui peuvent rassembler plus d’un million et demi d’individus, soit, comme le note l’ornithologue, un peu moins de la moitié du record des quelque 3,5 millions d’humains rassemblés sur la plage de Copacabana un soir de 1994 pour entendre Rod Stewart.
Un effet boule de neige
Les goûts musicaux de Snowball se discutent tout autant. Ses habiletés rythmiques, non.
Le débat scientifique le concernant a plutôt porté sur une des grandes énigmes de l’évolution de la musique : remplit-elle une quelconque utilité biologique ? Darwin lui-même ne pouvait trancher et la rangeait dans la catégorie des « facultés mystérieuses de l’homme », rappelle Noah Strycker. Le psychologue cognitiviste Steven Pinker en fait comme les arts en général un « simple » sous-produit du langage, une « pâtisserie auditive conçue pour titiller les circuits du plaisir du cerveau », écrit-il dans son essai Comment fonctionne l’esprit. Un autre scientifique, Steven Brown, pense plutôt que la musique et le langage ne font qu’un.
« D’où que vienne notre goût pour la musique, le plaisir qu’elle nous procure reste entier », conclut l’auteur passionné et passionnant après avoir exposé et soupesé ces différentes explications. « Que la musique soit une “pâtisserie auditive” ou un cri de bataille préhistorique ne change rien aux puissants effets qu’elle exerce sur note psychisme, notre âme et notre état d’esprit. Et ce n’est certainement pas Snowball qui dirait le contraire. »