«L’ironie de l’évolution»: quand l’évolutionnisme est condamné à évoluer

« Ce qu’il y a de plus incompréhensible dans l’univers, c’est qu’il soit compréhensible. » Cette pensée d’Albert Einstein permet à Thomas C. Durand, docteur français en biologie végétale, d’éviter des écueils : la confiance absolue en la science et la certitude qu’il n’existe rien au-dessus de celle-ci. Mais, jusqu’à preuve du contraire, il soutient, contre les créationnistes, que l’évolution est le « paradigme central des sciences du vivant ».

Son essai, intitulé L’ironie de l’évolution, montre que c’est précisément l’évolution lente du cerveau humain qui empêche tant de gens d’adhérer à l’idée d’évolution issue des recherches du naturaliste britannique Charles Darwin (1809-1882). Durand souligne que le cerveau « est un organe nécessairement imparfait » dont la jeune histoire ne demeure qu’une fraction des milliards d’années de l’évolution.
L’essentialisme (la primauté de la nature d’un être sur l’existence de celui-ci) constitue, explique-t-il, le principal obstacle à l’acceptation de l’idée d’évolution. Son propos, il l’illustre par cet exemple éclairant, tiré des travaux de la psychologue américaine Susan A. Gelman : « Des enfants de cinq ans (anglophones) pensent qu’un bébé français adopté par des anglophones parlera… français. » Souvent, l’essentialisme s’appuie, à l’âge adulte, sur un principe qui, commun dans l’histoire universelle, dépasse le domaine de la perception cognitive pour atteindre les convictions morales : la religion.
Par exemple, Durand rappelle que la conception biblique de la création d’un couple humain à l’origine de l’humanité reste incompatible avec le transformisme que propose la science, car, écrit-il avec pertinence, « l’évolution ne se réalise pas à l’échelle des individus mais à celle des populations ».
Il a beau jeu de signaler qu’à cause de la réaction créationniste aux États-Unis, 40 % des Américains n’acceptent pas l’évolutionnisme, contre 80 % des Français. S’il attaque avec justesse cet aveuglement rétrograde, on s’étonne qu’il garde le silence sur son compatriote le paléontologue et théologien Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) qui, contre toute attente, vit dans le christianisme de demain « la religion spécifiquement motrice de l’évolution ».
Divagation négligeable ou singularité française d’hier que Durand, de la génération actuelle, aurait dû juger pour, à la suite d’Einstein, éviter les écueils d’une science trop satisfaite d’elle-même.