«Casse-gueules»: un appel à la solidarité sororale

« J’écris des poèmes au dos de mes factures / pas par économie de papier plutôt pour / me souvenir de combien je dois / à celles qui m’ont faite », annonce Émilie Turmel en ouverture de la dernière partie de son premier livre, une série d’une dizaine de poèmes tous adressés à une écrivaine majeure, de Louky Bersianik à Catherine Lalonde, en passant par Nelly Arcan et Josée Yvon. Que plusieurs d’entre elles aient payé de leur vie leur insubordination n’est certainement pas une coïncidence, et la juxtaposition de leurs noms force à elle seule une réflexion sur la réelle liberté de parole des femmes.

Un présage face auquel la poète refuse pourtant de se la fermer. En tentant de s’arracher du corps et du crâne la honte de soi inoculée dès l’enfance, ou en parlant de celle dont on marchande le corps, dépositaire de toutes les injonctions contradictoires à la virginité et à la lasciveté, Turmel écrit comme on rallie derrière soi les troupes.
Elles seront d’ailleurs toutes conviées, même celles que le conformisme de l’obéissance muette a depuis trop longtemps avalées. Ce ne sera évidemment pas simple : « Vérité ou conséquence // la liberté c’est de choisir / le nombre et la couleur / des bonbons troqués / contre la liberté. »
Avec l’espoir que s’additionnent les cris de toutes ces femmes « lourdes de leurs ailes / arrachées », Émilie Turmel cale sa voix sur celles des poètes qui l’ont précédée, et qui dans plusieurs cas continuent de hurler des vérités, par-delà la mort (Huguette Gaulin, Sylvia Plath, Geneviève Desrosiers). Les insoumises ont tout à leur avantage, afin d’effrayer leurs ennemis nombreux, de se faire la courte échelle, jusque sur les épaules de celles dont la fureur provoque encore des tremblements.
« Je lève mon verre à la persistance / de leurs réincarnations », conclut-elle, un geste que ne peut qu’imiter celui qui sait que sa liberté ne sera que partielle, tant et aussi longtemps que toutes les dominations n’auraient pas été abolies.