«Né un mardi»: éloge de la bonté pour survivre au chaos

Le roman d’Elnathan John dépeint la réalité d’une culture dont les échos ne nous parviennent qu’à travers les atrocités commises par Boko Haram.
Photo: Aminu Abubakar Agence France-Presse Le roman d’Elnathan John dépeint la réalité d’une culture dont les échos ne nous parviennent qu’à travers les atrocités commises par Boko Haram.

En choisissant de faire le portrait de son pays natal à travers la voix d’un enfant, Elnathan John parvient à aborder de front la violence et l’injustice qui y sont inhérentes sans jamais tomber dans le pathos, avec une habileté et une légèreté dignes de Dickens ; un véritable exploit.

Planté en 2003 dans une ville au nord du Nigeria, où les tensions entre les différents groupes religieux sont palpables, le roman dépeint avec une impressionnante sensibilité les doutes, les choix déchirants et les innombrables deuils qui peuplent le quotidien d’un adolescent grandissant dans un monde où l’extrémisme et la vengeance sont omniprésents.

À la fois tragique et comique, le premier roman d’Elnathan John raconte la puissance du courage, de l’humilité et de la bonté, et permet par le fait même d’ouvrir les yeux sur la réalité et la richesse de cette région et de cette culture méconnue dont les échos incomplets ne nous parviennent qu’à travers les atrocités commises par Boko Haram.

Dantala (« né un mardi » en haoussa) traîne dans les rues avec les voyous de Bayan Layi, fume la wee-wee sous les baobabs et fait les 400 coups au service du Petit Parti, duquel il espère recevoir une rémunération et un avenir meilleur. Poursuivi par les policiers, il sera forcé de fuir, trouvant refuge à Sokoto auprès d’un imam salafiste paisible et charismatique, au côté duquel il évitera le piège de la radicalisation.

Le ton du récit est dénué de sensationnalisme. Particulièrement laconique, il parvient tout de même à émouvoir. La narration, formée des pensées naïves et authentiques du jeune Dantala, attendrit, fait sourire et permet de se laisser toucher et imprégner par cet univers d’une violence à première vue insoutenable.

« Je me suis aperçu que, depuis le jour où j’ai interrompu la bagarre entre Jibril et le chauffeur, personne n’ose essayer de défier mon autorité.

Il est intéressant de constater que ce n’est pas le fait que Sheikh me présente comme son adjoint qui a poussé les gens à me respecter, mais le fait de fouetter et de gifler deux adultes en public. Je ne comprends pas les gens. »

Ici, pas de morale ni de rhétorique. Seulement un jeune homme qui, à travers l’apprentissage du Coran et des langues, découvre et élabore ses propres définitions de l’amitié, de la foi, de la loyauté, de la sexualité et des premiers émois de l’amour, offrant par le fait même un enseignement crucial qui transcende les frontières et les cultures.

Palpitant et agité par les nombreux rebondissements qui ponctuent le quotidien d’une région instable, région menacée autant par l’extrémisme religieux que par les aléas de dame Nature, Né un mardi est avant tout une leçon d’ouverture, de courage et d’humilité, qui rappelle que la bonté, l’éducation et l’amitié offrent une bouée solide pour ne pas sombrer dans le cercle vicieux du chaos, de la peur et de la colère.

Extrait de « Né un mardi »

« Je suis encore défoncé et des tas d’idées me traversent soudain l’esprit — ma mère qui est loin, le fait que j’ai à peine prié depuis que j’ai quitté l’école coranique et qu’on va à la mosquée Juma’at de Sabon Gari seulement le vendredi parce qu’il y a des gens qui font l’aumône et plein de nourriture distribuée gratuitement. Mais Allah juge les intentions du cœur. On n’est pas méchants. Quand on se bat, c’est parce qu’on n’a pas le choix. Quand on cambriole des petits magasins à Sabon Gari, c’est parce qu’on a faim et quand quelqu’un meurt, eh bien, c’est la volonté d’Allah. »

Né un mardi

Elnathan John, traduit de l’anglais (Nigeria) par Céline Schwaller, Métailié, Paris, 2018, 268 pages



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