De la cassette au livre

Le livre est une recette connue qui, à l’ère de la politique par le «tweet» et le statut Facebook, semble étrangement trouver une deuxième jeunesse.
Illustration: Dorian Danielson Le livre est une recette connue qui, à l’ère de la politique par le «tweet» et le statut Facebook, semble étrangement trouver une deuxième jeunesse.

«L'immédiat » qui empêche de prendre du « recul ». Le « temps » qui « fuit ». Une « vision », un « engagement » comme « antidote » au « cynisme ». « Réfléchir ». « Partager ». « Dialogue ».

Comme dans un discours cherchant à calculer son effet, les mots-clés justifiant la démarche ont été parfaitement disséminés dans l’introduction d’Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire (Septentrion), essai lancé en grande pompe cette semaine par le ministre de l’Éducation du Québec, Sébastien Proulx.

Bouquin court — 130 pages —, écrit « d’un trait durant la dernière période des Fêtes », précise l’élu dans l’incipit, l’objet cherche à baliser le monde du savoir tel qu’il l’espère pour l’avenir de la nation et nourrit au passage une « réflexion plus vaste » sur la nécessaire transformation des structures et de la philosophie de nos écoles.


Mais il fait aussi plus. Il ajoute dans un espace public toujours plus bruyant un autre livre signé par un politicien qui prend la plume pour se faire entendre. Une recette connue, mais qui, à l’ère de la politique par le tweet et le statut Facebook, semble étrangement trouver une deuxième jeunesse.

« Créer l’événement pour essayer de contrer l’hyperconcurrence sur la scène médiatique n’est pas une chose nouvelle », résume à l’autre bout du fil Nadège Broustau, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM. « Ce qui l’est peut-être, c’est de le faire de plus en plus, dans la sphère politique, avec le livre. » L’objet, souvent jugé passéiste, est en train en effet « de devenir avant-gardiste », ajoute-t-elle, en apportant une apparence de solidité et de durabilité dans une époque qui, à trop succomber à l’instantanéité, au cri, à l’indignation fragile et à l’éphémère, réclamerait désormais un débat public avec des assises un peu plus consistantes.

« J’ai confiance »

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir En grande pompe cette semaine, le ministre Sébastien Proulx a exposé sa vision de l'éducation dans un court essai.

Le jeune député caquiste Simon Jolin-Barette ne s’en plaindra pas, lui qui, fin janvier, a vu les micros se tendre vers lui. Il a pu ainsi dénoncer un Québec découragé devant l’effort, selon lui, et faire la promotion de la semaine de travail de 60 heures qui devrait, maintient le politicien de droite, comme aux États-Unis, devenir un objet de fierté nationale.

Mais il a surtout profité d’un intérêt médiatique et massif, plutôt étonnant pour la parole d’un député d’arrière-ban, et qu’un tweet, une conférence de presse, un texte publié sur Facebook n’aurait pu mieux stimuler que la sortie d’un livre : J’ai confiance (Québec Amérique).

En novembre dernier, sa collègue péquiste Catherine Fournier, la plus jeune élue dans l’histoire de l’Assemblée nationale, a logé à la même enseigne après la publication de L’audace d’agir (Somme toute), ouvrage faisant l’éloge des millénariaux dans leur engagement politique.

« Le livre occupe encore une place importante dans notre société et tous ces politiciens qui passent par lui pour s’exprimer en font la démonstration », dit l’éditrice et présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), Nicole Saint-Jean, qui constate un courant ascendant portant actuellement ce genre d’ouvrages. « Au Québec, ajoute-t-elle, nous étions plus habitués à des biographies de politiciens et moins à des livres programmatifs ou réflexifs écrits par des élus. Le clivage traditionnel nationaliste/fédéraliste faisait qu’il y avait sans doute moins de questions à se poser. Or, aujourd’hui, les lignes de parti sont plus floues, plus volatiles, et la pensée politique se développe aussi autour d’un individu, plus que d’une formation politique. Le livre, un exercice personnel, devient donc un outil de communication intéressant. »

En 2013, c’est par lui que François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), a lancé son appel à une réappropriation collective du fleuve Saint-Laurent pour le développement d’une économie forte (Cap sur un Québec gagnant, Boréal). En novembre dernier, c’est aussi par lui que Jean-Martin Aussant a stratégiquement posé un jalon sur la route d’un retour en politique actif — annoncé la semaine dernière — avec La fin des exils (Atelier 10), court essai appelant à combattre les peurs qui nous empêchent d’embrasser le changement et à penser le collectif.

« C’est une façon de combattre le cynisme », estime Chantal Benoit-Barné, professeure au Département de communication de l’Université de Montréal, qui s’intéresse au discours politique et médiatique. « Le livre est une démonstration de profondeur qui permet à un politicien de se présenter autrement, avec une couche de plus qui met à mal le préjugé voulant qu’il n’ait pas de substance. »

« Peu importe ce qu’il y a dedans, un livre, c’est le symbole d’un engagement, c’est un sceau de crédibilité », qui s’impose comme un antidote dans une communication publique désormais polluée par le faux et les apparences de fausses nouvelles, ajoute Nadège Broustau. L’universitaire rappelle toutefois que, sous les apparences d’ouvrages présentés comme des oeuvres personnelles cherchant à entrer en contact direct avec le lecteur électeur, ces livres de politiciens, qui n’ont pas toujours le temps d’écrire, dissimulent parfois une réflexion plus collective, un « travail d’équipe », qui ne se présente pas toujours comme tel.

Les ventes

Photo: Victor Diaz Lamich, Jacques Nadeau et Pedro Ruiz Le Devoir Avant l'actuel ministre de l'Éducation, Gabriel Nadeau-Dubois, Catherine Fournier, Françoise David, François Legault et Jean-Martin Aussant ont aussi succombé à l'appel du livre.

Cela explique sans doute ceci : même si l’on en parle beaucoup, ces exposés éditoriaux inscrits dans la durabilité du papier ne rayonnent sans doute pas autant que leurs auteurs sur les nombreux plateaux de télévision ou dans les colonnes de journaux qui s’ouvrent à eux avec l’apparition d’un livre. Les ventes se chiffrent à quelques centaines d’exemplaires à peine, rarement à des milliers, estime Nicole Saint-Jean, et surtout jamais autant que les 100 000 exemplaires qu’une biographie de Robert Bourassa ou de René Lévesque a pu écouler dans le temps.

« Les éditeurs qui publient ce genre de livres le font par conviction politique plus que pour les ventes », explique Mme Saint-Jean, en soulignant que les ouvrages prônant des idées politiques ne sont pas non plus accessibles aux subventions et crédits d’impôt offerts au monde de l’édition.

Alors, à quoi bon ? « C’est une stratégie pour le politicien, qui se fait voir, mais c’est aussi une stratégie pour l’éditeur, qui trouve ici une proximité avec des personnages politiques montants ou influents, pour se faire entendre sur les enjeux du livre ou de la culture par la suite. »

On savait le livre territoire de pensées. Avec les politiciens, c’était à prévoir, il devient aussi territoire d’arrière-pensées.

Des livres face au suffrage des lecteurs

Le premier s’est vendu en milliers d’exemplaires, les autres en centaines: palmarès de quelques livres de politicien (par rang de meilleures ventes à la caisse)

1- Tenir Tête, Gabriel Nadeau- Dubois, Lux, 2013

2- De colère et d’espoir, Françoise David, Écosociété, 2011

3- La fin des exils, Jean-Martin Aussant, Atelier 10, 2017

4- Cap sur un Québec gagnant, François Legault, Boréal, 2013

5- L’audage d’agir, Catherine Fournier, Somme Toute, 2017

6- J’ai confiance, Simon Jolin- Barette, Québec Amérique, 2018

Ils ont écrit...

« On devrait protéger celles et ceux qui réclament du progrès et des améliorations. Il faut cesser de voir les changements comme des menaces. Il faut les voir comme des tremplins. […] Sur la formation des maîtres, […] il faut une révolution, pour passer à une valorisation au point de sélectionner l’élite pour occuper l’emploi le plus important dans une société. »

Sébastien Proulx, Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire (Septentrion)

« Les Québécois ont collectivement eu tendance à s’attarder beaucoup trop longuement sur leurs défaites et échecs. Tous les peuples du monde connaissent pourtant, à un moment ou à un autre, des revers. C’est normal, ainsi va la vie. Cette fâcheuse tendance malheureusement bien québécoise occulte toutefois nos victoires et nos réussites, qui sont pourtant très nombreuses. »

Catherine Fournier, L’audace d’agir (Somme toute)

« Les grands projets de société se font de plus en plus rares, au profit d’une gestion purement technocratique. Pourtant, c’est par d’ambitieux projets collectifs qu’on arrive à définir une identité nationale, à se reconnaître et à se développer. Ceux-ci peuvent sembler inaccessibles aux yeux de décideurs guidés par un comptabilisme pusillanime. »

Jean-Martin Aussant, La fin des exils (Atelier 10)

« Depuis une quinzaine d’années, le Québec traverse une période difficile. Le cynisme a gagné beaucoup de terrain. Des scandales de corruption sont venus ternir la vie politique. […] Pour moi, l’un des premiers défis que le Québec d’aujourd’hui doit relever, c’est de retrouver la confiance. En lui-même et en ses valeurs. Et cela commence par la confiance en ses institutions. »

Simon Jolin-Barette, J’ai confiance (Québec Amérique)

«La colère est un moteur pour l’action. Et l’action est possible, car déjà entamée partout ! Mais la colère sans l’amour est vaine. Vengeresse et revancharde. Les plus grandes révolutions, la révolution féministe par exemple, sont fondées sur l’amour pour les personnes avec qui l’on se bat, construit, discute. Avec qui l’on vit, tout simplement. Ceux et celles qui construisent le Québec aiment profondément leur territoire et les gens qui y habitent. Je veux modestement leur rendre hommage.»

Françoise David, De colère et d’espoir (Écosociété)


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