L'entrevue - L'entremetteuse culturelle

Monique Giroux
Photo: Agence Reuters Monique Giroux

Pour l'animatrice Monique Giroux, les Québécois sont encore fragiles sur le plan de l'affirmation de soi Avec Monique Giroux, le mot «animation» prend vraiment tout son sens. En janvier dernier, elle recevait en France le titre de Chevalière des Arts et des Lettres. À la barre d'une émission de chansons en direct à la Première Chaîne de Radio-Canada pour la onzième année consécutive, elle est actuellement en nomination pour le prix Femmes de mérite, catégorie communications, qui sera décerné par le YWCA le 12 mai prochain.

Elle ratisse large, Monique Giroux, entre la radio au quotidien, la direction et l'animation de spectacles, la participation à des jurys, la conception de collections de CD, de coffrets CD thématiques et de séries radiophoniques, l'instigation de création de chansons réalisées conjointement par des auteurs-compositeurs-interprètes français et québécois dans son émission Les Refrains... et la création de La Nouvelle à répondre, une expérience littéraire collective à la radio, dont la première version a été publiée chez Boréal en 2003, sous le titre Le Locataire du septième.

Sa nomination comme Chevalière des Arts et des Lettres lui a fait un velours et ouvrira certainement des portes en France, mais elle considère qu'une nouvelle responsabilité lui a été confiée et compte bien continuer à demeurer au service de la chanson et des jeunes créateurs francophones d'ici et d'ailleurs. «Mon destrier s'appelle Boudu [le clochard qui vient tout chambouler] et mon épée s'appelle micro. Sans micro, pas de combat. Ma quête: faire découvrir la chanson québécoise francophone au monde entier.»

Comptez sur Monique Giroux pour secouer l'ordre établi. «J'admire le Cirque du Soleil et Robert Lepage. On se réjouit du succès à l'étranger de Richard Desjardins, de Gilles Vigneault, de Jorane, qui méritent qu'on les entende ailleurs. Pourquoi est-ce qu'on n'écouterait pas Ariane Moffatt au Japon, par exemple? Pourquoi se borner à la Francophonie?» Ici, souligne-t-elle, on aime bien Cesaria Evora, Petru Guelfucci, I Muvrini ou Gianmaria Testa sans parler leur langue; la bonne chanson transcende la langue.

«Plus jeune, j'écoutais Genesis, Supertramp, etc., sans comprendre l'anglais. Ferré et Brel m'ont appris à penser; Brassens à me dissocier, à me distinguer; Vigneault, à être fière; Pauline Julien, à me battre pour des idées; Louise Forestier m'a donné envie de m'approcher du métier. Si je peux être un vecteur valable, tant mieux! La France m'a reconnue comme étant vivante dans la culture, cela va me faciliter les choses.»

La chanson est la voie qu'elle connaît le mieux, «l'avenue la plus réjouissante, la plus conductrice pour moi». Mais, avant tout, elle adore être une «entremetteuse culturelle», provoquer des rencontres créatrices entre des artistes. C'est l'objectif de La Nouvelle à répondre, notamment.

De quoi, de qui a-t-on peur?

Récemment, on a reproché à Monique Giroux d'être «trop française». Qu'est-ce que cela signifie? «On me reproche mon accent, mais c'est probablement l'énergie, le débit, la vitalité, voire l'assurance, qui sont plutôt visés. J'ai horreur des sectes de pensée, des ghettos, des étiquettes (le cas de Chloé Sainte-Marie est exemplaire; certains l'avaient cataloguée à tort: ceux-là se sont enfin rangés du côté de l'intelligence) et je m'insurge contre les pensées toutes faites, les a priori, préjugés et autres idées reçues, explique-t-elle. Je m'emporte avec ardeur contre le prêt-à-penser. Je n'ai pas le temps de m'exprimer là-dessus ici, ce serait trop long...»

Eh bien, prenons-le, le temps! Car, manifestement, il s'agit là d'un sujet brûlant pour Monique Giroux: «Je suis québécoise au plus profond de moi et je ne vois pas en quoi je serais française parce que j'aime Carla Bruni, Benjamin Biolay ou Anne Sylvestre! Cela ne m'empêche pas d'aimer Clémence ou Les Belles-Soeurs; où est le problème? s'insurge-t-elle. Je présente toutes les chansons, québécoises ou françaises, de la même manière. Je partage la même langue que les Français. Il y a des gens agréables ou désagréables dans tous les pays et, quand on est poli et respectueux, on est bien accueilli partout. De quoi donc a-t-on peur?»

Monique Giroux constate que les Québécois sont encore fragiles sur le plan de la confiance en soi, de l'affirmation, de la fierté. «Ces éléments structurants passent par la politique, et c'est justement là que ça coince. Notre langue est très bien; pourquoi est-on forcé de la travestir, de la trafiquer, de la caricaturer sous l'effet du courant de l'humour comme s'il n'existait pas d'autre moyen de se distinguer et d'affirmer son identité?»

Elle trouverait réconfortant qu'il y ait des sages pour «nous éveiller à l'importance de la politique. On sait que le Québec est "distinct", mais j'ai parfois l'impression qu'on a perdu tout sens commun, que les décisions se prennent au mépris de la réalité, sans vision à long terme».

Ouvrir des horizons

À moyen terme, Monique Giroux vise des collaborations plus concrètes et plus fréquentes avec ses collègues de la radio française. «J'ai envie de leur offrir autre chose que ce qu'ils connaissent déjà. Le succès des Lynda Lemay, Natasha St-Pier et autres me réjouit, mais je suis certaine que les Français peuvent s'ouvrir à autre chose. Preuve: au festival de Montauban, Chloé a remporté le Prix du public et, depuis, elle tourne en France, en Belgique et en Suisse. Paule-Andrée Cassidy et Claire Pelletier ont décroché des Prix Charles-Cros.»

À plus long terme, Monique Giroux aimerait occuper un poste-clé lié à la culture, «mais pas à n'importe quelle condition. Si je tâtais de la politique, ça ne serait pas de façon directe; j'aurais plutôt envie de m'impliquer dans un poste où je pourrais accomplir des choses concrètes, à Radio-Canada, à Paris, ou dans une agence gouvernementale, par exemple». Lors d'entrevues menées auprès de nombreuses personnalités connues, elle a souvent été touchée, surprise, saisie d'émotions inattendues. «J'ai surtout pris une fabuleuse leçon de modestie! La modestie a un avantage: elle permet de ne jamais être vexé. Je sens les gens très rapidement. Comme Juliette Gréco, que j'admire, je cultive la bonne foi, le bénéfice du doute, et je trouve les gens aimables jusqu'à preuve du contraire.»

Après quelques années pendant lesquelles son émission était diffusée le dimanche, Monique Giroux est ravie de son retour au quotidien. «J'avais besoin de me renouveler. La bonne humeur au quotidien avec chaque personne est un devoir que je me donne. Je suis malheureuse quand je ne travaille pas, je tourne en rond, un peu comme un peintre empêché de peindre. J'aurai l'éternité pour me reposer!»

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