Littérature jeunesse - Le piège de l'écriture
Dans La Piste sauvage, François Gravel mettait en scène un adolescent de cinquième secondaire ayant quelques difficultés à s'intéresser à la lecture, happé par une aventure impitoyable de course automobile. Le même grand Steve, dirigé par le même professeur de français, M. Vinet, expérimente maintenant, dans L'Araignée sauvage, le plaisir d'écrire, mettant en scène des personnages inspirés des gens qu'il côtoie et portant même leur nom. Son genre de prédilection, cependant, à l'instar de l'écrivain Steve Prince, donne dans l'horreur et le dépeçage sanglant.
Son manuscrit tombe bientôt entre les mains du directeur, qui s'offense au plus haut point du rôle que le jeune Steve lui a réservé dans son histoire. Les propos menaçants et morbides du manuscrit le poussent à porter plainte et à le faire incarcérer dans un Centre jeunesse. Là, malgré les démarches de ses parents et de son prof, Steve est détenu pour un mois, sur la recommandation d'un psychiatre qui décèle un risque de dissociation et d'éclatement imminent.Inutile de dire que l'apprenti se mord les doigts d'avoir utilisé les noms des personnes qu'il côtoie, mais cela donne par ailleurs à François Gravel une superbe occasion de multiplier quiproquos et surprises servies au lecteur. Les revirements, les ambiguïtés, les failles du raisonnement de l'un et de l'autre sont autant d'armes redoutables entre les mains de l'auteur, qui s'en sert pour semer des doutes et affoler son lecteur. Les relations déroutantes et tyranniques ayant cours entre les jeunes de l'unité où Steve atterrit servent également l'intrigue, gonflant les sentiments d'injustice et d'inquiétude.
L'effet de vraisemblance est d'autant plus réussi que le processus même d'écriture est interrogé, dans ses ressemblances avec la folie. Les questionnements concernant le bien-fondé des récits d'horreur trouveront ici des arguments de choix. L'araignée et son piège gluant servent d'image à la fois pour comparer le héros pris au piège des perceptions étroites de la «normalité» et pour illustrer le processus de création: l'écrivain tisse sa toile fictive sans se laisser prendre à son propre piège.
Explorant la frontière ténue entre réalité et fiction, le récit remporte haut la main son double pari d'accrocher le lecteur et de lui insuffler les germes du désir d'écrire.