Littérature étrangère - Le Führer et ses femmes
À force de ne rencontrer que des hommes dans les études et essais consacrés à Hitler et à son entourage, on a fini par croire que les femmes allemandes, comme on dit, ne se mêlaient pas de ça. Il a bien fallu, pourtant, que certaines d'entre elles contribuent à ce délire collectif pour lui permettre d'imprégner en profondeur toute cette société.
Dans un ouvrage passionnant intitulé Les Femmes d'Hitler, le journaliste allemand Guido Knopp propose justement une série de six portraits de femmes qui ont eu affaire au monstre qui «disait toujours n'avoir pour seule épouse que la nation allemande». Maître du genre, Knopp nous entraîne donc sur la piste de cinq égéries du nazisme et d'une star qui a refusé cette abominable conscription.Élevée au rang de «mère suprême du Troisième Reich», la première se nomme Magda Goebbels. Épouse du ministre de la Propagande de cet odieux régime, cette «mondaine arrogante», qui avait déjà flirté avec le sionisme, s'est enrôlée, avec ses six enfants, au service de l'image de l'Allemagne nazie. Hitler la chérissait, mais, surtout, s'en servait pour donner un vernis de dignité à la société qu'il voulait construire. Le 1er mai 1945, elle se suicidait, avec son mari, après avoir assassiné tous ses enfants.
Plus tristement célèbre, la deuxième se nomme Eva Braun. Cette bourgeoise insignifiante, qui fut la maîtresse d'Hitler, aura passé sa vie dans l'ombre du seul véritable amour du dictateur, sa nièce Geli Raubal, elle aussi suicidée. Le 28 avril 1945, Braun, tout juste mariée à son maître, se donnait la mort en compagnie de celui-ci.
Hitler aimait la musique de Richard Wagner. On comprend un peu pourquoi quand on sait que celui-ci professait un antisémitisme assez radical. «Cela ne fait pas du compositeur, précise Guido Knopp, le "précurseur de l'Holocauste"; mais les précurseurs véritables, eux, se voyaient tout à fait dans la lignée de Richard Wagner.» Belle-fille du compositeur et directrice du festival de Bayreuth consacré à son oeuvre, Winifred Wagner fut une admiratrice d'Hitler. À la fin de la guerre, on lui reprochera avec raison «d'avoir mis dans la balance, au profit d'Hitler, le poids de l'un des noms les plus célèbres de l'histoire culturelle». Elle est décédée en mars 1980.
Pour sa part, ce sont ses qualités de cinéaste que la comédienne et réalisatrice Leni Riefenstahl, morte en septembre 2003, mettra au service du Troisième Reich. Grandioses et fascinants, les films de cette arriviste très talentueuse contribueront à sa renommée internationale, tout en camouflant un régime assassin sous des images pompeuses d'une troublante beauté. Bien sûr, «Leni Riefenstahl elle-même n'a fait déporter personne, elle n'a tué personne non plus. Mais elle doit reconnaître un fait: elle a utilisé toutes les possibilités que lui offrait un État fondé sur le mépris du genre humain.»
Le même opportunisme, le même aveuglement volontaire se retrouvent dans le parcours de la chanteuse et actrice d'origine suédoise Zarah Leander, qui a profité de la conjoncture pour s'imposer comme la diva du Troisième Reich. Elle ne faisait pas de politique, disait-elle. Guido Knopp voit les choses autrement: «En fait, elle n'était pas seulement un élément, mais un rouage artistique central d'un État inique. Il est tout simplement impossible de la considérer comme une artiste en l'isolant du Reich hitlérien: seule la dictature a fait d'elle ce qu'elle était.» Elle est morte à Stockholm en 1981.
Quant à la dernière, Hitler en rêvait. Il aurait souhaité en faire le visage de son délire. «Par décence», disait-elle, elle a refusé. Exilée aux États-Unis en 1930, d'abord pour des raisons professionnelles, Marlene Dietrich a fermement repoussé, par la suite, les appels pressants de Goebbels qui lui offrait gloire et fortune sur un plateau de sang. La plus grande star allemande de cinéma du XXe siècle allait, en effet, plutôt s'engager dans l'armée américaine pour combattre Hitler: «De toutes les vedettes d'Hollywood, Marlene Dietrich fut celle qui passa le plus de temps auprès des troupes alliées outre-Atlantique... et elle fut la plus appréciée.» Elle est morte à Paris en mai 1992.
Visages de la honte, les cinq premières ne font pas honneur à leur genre. Hitler, qui les connaissait personnellement et intimement dans certains cas, en avait besoin et elles ont répondu «présentes». Le constat est triste mais vrai: le nazisme, on le sait maintenant grâce à cet ouvrage convaincant, bien documenté et bellement rédigé, fut aussi, dans une certaine mesure, une affaire de femmes.