Quand la critique se fait du cinéma
Ann Whitehead est critique de cinéma au L.A. Millenium, un hebdo underground très branché. À une autre époque, elle écrivait des petits brûlots incisifs et décapants, écorchant à qui mieux mieux les bonzes et autres monstres sacrés hollywoodiens. Mais depuis un moment déjà, elle a perdu le feu sacré, au point que même les soirées glamour de la jet-set la laissent indifférente.
Son petit monde terne et sans joie bascule lorsqu'elle découvre, gisant au fond d'une baignoire, le corps inerte d'une splendide blonde qui venait de vendre à fort prix le scénario corrosif d'une suite de Thelma et Louise. Il n'en faut pas plus pour que la critique désabusée mette en veilleuse son boulot de gratte-papier au salaire de crève-la-faim pour se glisser dans la peau d'une privée — variation féminine du «hard-boiled detective» si cher au roman noir — et partir à la recherche du meurtrier.Le travail sur le terrain est rude et l'apprentie détective n'a que peu d'atouts dans sa manche lorsque vient le temps d'affronter une ribambelle de producteurs véreux, de réalisateurs mégalos et d'autres scénaristes paranos. Sans compter un directeur de journal people sans scrupules, un tueur qui veut lui faire la peau et un flic pas tout à fait au-dessus de tout soupçon mais beau gosse quand même. Pour Ann, ce meurtre marque le début d'une vie nouvelle truffée d'aventures au cours desquelles elle se fait passer à tabac, s'adonne à une poursuite en voiture et apprend à jouer du flingue et d'autres objets contondants.
Knode profite de l'occasion pour égratigner les univers de la production cinématographique et du journalisme, évoquant l'influence des grands studios sur la presse, ce qui insuffle au récit ce ton à mi-chemin entre la hargne et le désenchantement et le préserve de tomber dans le superficiel et l'anodin des tabloïds et autres écrits sensationnalistes de tout acabit. Elle propose une vision caustique de la très corrompue planète Hollywood, incarnation de tous les rêves, de tous les fantasmes et de toutes les décadences.
Le sujet et le lieu sont un peu éculés, certes, mais l'histoire tient bien la route. Et, à l'image de son héroïne, l'auteur — féministe affirmée, ancienne chroniqueuse de cinéma au L. A. Times Weekly et seconde épouse de James Ellroy — fait preuve d'un bel aplomb. Elle brosse une histoire drôle, inventive, au rythme infernal, une histoire truffée de rebondissements qui se lit comme on regarde un bon vieux film hollywoodien. On ne peut pas ne pas penser à Sunset Boulevard, qui, en filigrane, dénonçait le pouvoir démesuré de certaines stars hollywoodiennes à la grande époque du «studio system». Ou encore à The Day of the Locust, The Last Tycoon ou What Makes Sammy Run.
Terminus Hollywood s'avère un premier roman plein de promesses, une agréable balade dans les coulisses de la Babylone moderne avec un parfait dosage d'ironie et de désenchantement. On ne peut que se réjouir d'apprendre, en lisant Libération, que Knode prépare actuellement une suite qui prendra la forme d'un road story.