Littérature française - Delerm et des histoires minuscules
Au début, on se demande où Philippe Delerm veut en venir au juste. Pourquoi il raconte ces trucs. Puis, assez vite, on comprend: il ne veut aller nulle part. Il n'en a pas besoin, d'ailleurs, puisque les choses qu'il observe se trouvent partout. Et il les raconte pour le plaisir. Le plaisir du témoin. Si on poussait un peu, on pourrait aussi dire: le plaisir du voyeur. Que le lecteur peut partager avec lui sans ressentir trop de culpabilité.
Delerm nous avait déjà conviés, avec La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, au goût de l'instant, au croquage sur le vif, au cliché (au sens photographique du terme). Avec ces Enregistrements pirates, il remet ça, avec la bonne humeur de celui qui mord dans le réel en apparence banal comme le chat mord dans la souris. La souris qui ne se doutait de rien, à l'instar des «héros» de cet opuscule qui ont été saisis à leur insu et à propos desquels on peut inventer tout ce qui nous plaît.Enregistrements pirates est un collage de courts textes. Il n'y a pas d'histoire au sens entendu du terme. Il y a bien des histoires, mais pas tout le temps. Au rayon de la littérature, Philippe Delerm est à la fois un jouisseur à la dérobée et un tenant de la simplicité volontaire. Pour lui, toutes les occasions sont bonnes, mais alors vraiment toutes: un chien, une réunion, un graffiti mal orthographié, le bruit d'un réfrigérateur, un quai de gare, un mot dans une lettre, une autre réunion — à un moment donné, on pressent que l'auteur se fait violence pour ne pas élaborer une théorie générale de la réunion et de son rôle fondamental dans l'agencement des rapports sociaux —, un penalty au soccer, une mousseline de crabe sur son toast farci, des bribes d'une conversation entre inconnus sur un sujet insipide. Il prouve qu'à partir de rien, il est toujours possible de faire quelque chose.
Delerm dessine. Il n'hésite d'ailleurs pas à évoquer, en lever et en chute de rideau, Pietro Longhi, le peintre qui rendit tant de scènes quotidiennes de la Venise du XVIIIe siècle en imprégnant ses toiles de pittoresque (son pastiche du Rhinocéros de Dürer est resté célèbre). Le résultat, que l'on peut prendre par n'importe quel bout en ouvrant le livre au hasard, est une suite de flashs que le lecteur peut compléter à sa guise.
Voyeur, disions-nous? Voleur également. Aussi, où que vous soyez, quoi que vous fassiez, méfiez-vous: Philippe Delerm est peut-être en train de vous espionner, de vous voler un coin de votre vie pour en faire le récit en forme de clin d'oeil.