Poésie - Dédales du dire et du dédire

Il y a plusieurs façons de se raconter dans un recueil de poèmes, mais encore faut-il décoller du «je» brut afin d'atteindre cette étrangeté de langage qui animera le texte. Situés tous deux à la frontière entre le biographique et l'imaginaire, les récents livres de Nicole Dumoulin et de Bruno Roy transforment sous des modes différents la matière du vécu.

Sur manuscrit, Ces artefacts que nous taisons a mérité à Nicole Dumoulin le prix Jacques-Poirier-Outaouais (récompense qu'un jury sévère préféra ne pas remettre lors des deux années précédentes). Devenue livre, cette suite poétique s'avère d'une construction soignée, jouant brillamment des ressources graphiques pour appuyer son propos intime et teinté d'un certain érotisme, bien qu'«Au-delà du poème amoureux / Nous existons l'un sans l'autre».

Racontant les péripéties d'une relation, tendus entre la maison et le dépaysement, ces poèmes adviennent comme de petits croquis, leurs mots espacés suivant les inflexions rythmiques. De concert avec les illustrations de Diane Génier, l'amant est décrit tant par les signes de sa présence que de son absence: «Dans le flux de nos bouches / Toujours je te reconnais un jardin de nénuphars / Salive d'ambre contre la terre nos tambourins sourds / S'exténuent / À retracer la paix». Rien de très neuf ici, sinon la singularité d'un rapport affectif rendu avec émotion par Dumoulin. Loin de nuire à l'ensemble, les variations typographiques et les diverses textures du papier contribuent à produire une judicieuse mise en espace.

En arriver à vivre

Chez Bruno Roy, il ne s'agit pas tant de tamiser le vécu que d'arriver à vivre malgré la présence imposante d'un non-être au fond de soi. Reprenant l'un de ses thèmes de prédilection tout en se référant à Gaston Miron, l'écrivain stipule que «dans cet enjambement de naître / commence l'épreuve du monde». Résistant à l'apitoiement, la parole se fait ici carrée, avec des strophes très brèves qui agissent comme les coups du sculpteur dans un bois rebelle, bois d'un présent parsemé de noeuds mémoriels. La mère s'étant tue avant que le locuteur n'advienne à la parole, il lui revient d'inventer un dialogue qui annule cette impasse, ce pourquoi le poème hésite entre un exorcisme très personnel et la fraternité effective du littéraire.

«Mon cri / n'est qu'un léger balancement / dans un vaste corridor / ciré», s'exclame Roy avant de lier son destin à celui d'autres orphelins dans «l'enseveli des camisoles» et «ce moi aligné des exils». Du manque à la revendication, la voix s'aventure dans un nous libérateur, pour mieux revenir ensuite à cette réinvention de la gestation et de la naissance: «Et je construirais mon corps / avec ses os fugitifs / père effacé de mon sang».

Cette incursion biographique comporte ses dangers auxquels Roy n'échappe pas toujours, par exemple celui de restreindre la perspective du poème et d'en faire un outil purement figuratif. L'auteur semble cependant conscient de cet écueil et trouve progressivement le chemin d'une nouvelle altérité: «Tu sors tout droit du papier / la lumière est immense / où j'attendais que tu murmures».

Bruno Roy Les Racines de l'ombre XYZ Montréal, 2004, 118 pages

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