Poésie - Écrire à voix basse

Deux auteurs de Québec publient de nouveaux recueils cette saison au Noroît. Même s'ils ont quelques livres derrière eux, Michel Leclerc et Jacques Ouellet n'ont pas toujours reçu l'accueil critique qu'ils méritent. Il faut croire que ces poètes pratiquent une écriture assez discrète qui suit les traces de Saint-Denys Garneau, de Jacques Brault et de Geneviève Amyot (on vient d'ailleurs de rééditer La mort était extravagante au Noroît). Un dialogue sensible s'amorce donc, de nouveau, sur le passage fragile des liens existentiels.

Le Livre de l'échoppe constitue le dernier volet d'une trilogie qui regroupe Comme venu des lointains et Si nos âmes agonisent. Après la parole amoureuse, Michel Leclerc mêle l'ombre à la lumière. Une errance débute vers l'autre qui se cache quelque part à l'intérieur de cette énigme mourante. Plutôt lyrique et limpide, une voix tente de rejoindre la noire mélancolie de l'inconnu. Chez Leclerc, on sent plus que jamais une écoute chercheuse du temps qui hésite. Alors qu'il cherche à comprendre son rapport au poème à la toute fin du recueil, il mentionne du coup: «Là où foudroie le doute / le poème s'incline / puis s'attise autrement / devant l'obscur très vain.»

Au fil des cinq sections, une clarté s'installe dans la langue poétique afin de permettre cette tension nécessaire entre le monde et l'écriture. On tente ici d'apprivoiser un certain mal de vivre, ainsi qu'une inquiétude tremblante de murmures. Le poème se révèle à la manière d'une confidence, là où le poète découvre la face cachée des choses. D'un indice émotionnel à l'autre, une perte guide l'ample frémissement des épreuves. On peut ainsi lire Le Livre de l'échoppe telle une traversée lucide des apparences. La peur s'installe dès le premier regard, bien que la mémoire entraîne avec elle l'autre versant du jour. De plus, l'image poétique interpelle sans cesse le lecteur qui rôde là où une faible clarté tournoie. Parfois malhabile, on reprochera à l'occasion au poème de trop s'appuyer sur quelques effets stylistiques qui finissent par alourdir la phrase et le sens. Néanmoins, l'oeuvre de Leclerc se laisse porter par un souffle qui rejoint une certaine tradition, de même qu'une fulgurance plutôt vibrante.

Avec Jacques Ouellet, on retrouve un ton davantage posé. On remarque, encore une fois, à quel point cet univers est proche de celui de Claude Paradis (un autre auteur de Québec). Alors que Paradis s'interrogeait sur la mort du père dans Les Mêmes pas, Ouellet parle aussi de deuil tout au long de N'y allez pas. Il revisite son enfance, tout comme le souvenir tragique d'une mère disparue: «Ainsi penchée ce n'est ni la lune / ni la fenêtre ni l'armoire bleue / mais la peur malingre / osseuse / tressaillement de la seconde éprise / d'éternité / infime fracture / que la main intuitive écarte / monsieur le néant / votre trop grand chapeau / à l'instant nous fait ombrage.»

Dense et elliptique, la parole mesure la colère, la douleur, de même que l'irréparable. À travers les métaphores de la rive et du large, un rythme s'installe afin de dévoiler le mystère qui se cache quelque part dans les indices d'un fait ou d'une promesse retenue. Plutôt sobre, le poème s'enracine dans une parole qui n'accepte aucun débordement. Un extrait arrive même à résumer, en quelque sorte, la quête intime et personnelle de l'auteur: «Cette mémoire / ses odeurs ses battements ses flèches / une avancée sur des pistes / où seuls les reflets s'acharnent / à la ligne convenue / d'un fragment de réponse / dépaysé / qui donc frissonne / au bruit de la chambre.» Par moments, on souhaite que ces mots arrivent davantage à surprendre. Cette impression d'un tracé résiste même trop à l'occasion. Le non-dit devient alors la seule réponse possible. À trop vouloir saisir l'appel irrésolu, Ouellet s'acharne sans brusquer les contours d'une langue parfois simpliste. C'est alors qu'on souhaite qu'il se détache de certains réflexes d'écriture afin de mieux surprendre le contentement d'être au monde.

N'Y ALLEZ PAS Jacques Ouellet Éditions du Noroît Montréal, 2004, 96 pages

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