Littérature anglaise - Vertige de l'amour
Anjali aime Nana, Nana aime Moshe et peut-être Anjali, tandis que Moshe aime Nana et Anjali. Ou quelque chose dans le genre. Vous suivez? Ils s'aiment, se désaiment, batifolent et désespèrent. Car tout n'est pas rose à l'heure du libre échange.
L'évidente banalité de la vie privée n'a jamais semblé aussi forte. À force d'insensibilisation progressive, les replis les plus intimes de la vie du couple n'échappent pas à l'obsession de la performance et aux nouveaux conformismes. Un rapide coup d'oeil sur les kiosques à journaux nous permet de constater cette prescription au plaisir, à embrasser autrement et aimer autrement: «21 clichés sexuels à virer de votre lit», «Comment transformer votre histoire de cul en love story», «Deux hommes valent mieux qu'un!», etc. Portrait d'une certaine misère sexuelle sous forme de «triolisme chic».Nana, jeune historienne d'art qui prépare une thèse sur Mies van der Rohe, est une fille à papa un peu frigide. Moshe, son copain, est un comédien «art et essai» au physique plutôt lourdaud. Puis il y a Anjali, jeune et jolie Indienne née à Londres, plutôt lesbienne, «actrice à la carrière moyennement réussie avec une vie amoureuse moyennement ratée». Sentant leur couple battre de l'aile, Nana a l'idée d'inviter son amie Anjali à partager leurs ébats. On essaie de tout: «fisting» entre filles, sexe anal, accessoires, gymnastique. Ce qu'on appelle faire le tour de la question. Ayant quitté Moshe (qu'elle aime encore) pour retourner chez papa qui l'interroge au cours d'une scène très drôle à propos de leur ménage à trois, Nana dira simplement: «C'était difficile de dormir.»
Politique du «trip à trois»
Né à Londres en 1978, Adam Thirlwell a fait ses études à Oxford et occupe aujourd'hui une position en vue dans les milieux littéraires londoniens. Le roman serait en cours de publication dans une vingtaine de pays. Thirlwell multiplie les digressions, dans un patchwork désinvolte de références artistiques et politiques, abordant tour à tour la reine mère, Andy Warhol, les films de Bollywood, l'hygiène sexuelle de Mao (qui croyait se soigner d'infections vénériennes en couchant avec de jeunes vierges) ou la théorie de l'hégémonie selon Gramsci. Un narrateur omniprésent, à la Sterne, toujours prêt à donner son opinion: «J'ai une théorie là-dessus.» Sa définition de l'infidélité? «C'est le désir égoïste d'être obligeant envers plus d'une personne.»
La politique est partout, y compris — et peut-être surtout — dans la chambre à coucher. L'ironie de Thirlwell ne nous laisse aucun repos. Car Politique est avant tout une comédie sur l'étiquette sexuelle. Éthique, jeux de pouvoir, positions. Aucun aspect de la politique du «trip à trois» n'échappe à l'auteur. Les épisodes sexuels plutôt convenus, mélange de subversion tape-à-l'oeil et d'érotisme glacé, n'ont évidemment pour effet que de renforcer ce ton dérisoire. En sourdine, le roman propose également une réflexion sur l'identité, qu'elle soit sexuelle ou communautaire.
Quant à la véritable profondeur, mieux vaudra relire, par exemple, Le Livre du rire et de l'oubli de Kundera, dans lequel un des personnages souhaitait écrire «un livre politique sur l'amour et un livre d'amour sur la politique». Même le trio amoureux s'y trouve déjà. Appelons cela un hommage. «Je suis gentil, nous rappelle le narrateur. Ce livre entier est gentil.» Mais on s'amuse le temps que ça dure, car Politique est un petit feu d'artifice. Et on n'en demande pas davantage.