Rentrée littéraire: des essais québécois pour prendre le temps de penser le présent

Et si l’urgence de crier pour commenter était en train de nous faire perdre contact avec les nuances du monde?
Photo: Emmanuel Dunand Agence France-Presse Et si l’urgence de crier pour commenter était en train de nous faire perdre contact avec les nuances du monde?

Quel visage donner au temps, celui de cette réflexion qui disparaît de plus en plus dans l’urgence, dans le cri continuel de nos indignations numériques, dans le culte de l’instant ? Celui de Jérémie McEwen, professeur de philosophie, qui, devant l’hystérie collective, va proposer dans Avant je criais fort (XYZ), à paraître en février, de reprendre quelques questions qui excitent ses contemporains pour les disséquer dans le calme, pour en mesurer les tenants, les aboutissants, la complexité, les contradictions loin des opinions faciles et des raccourcis habituels qu’elles alimentent en ce moment. Guerre. Accommodements religieux. Intelligence artificielle. Mensonge. Pudeur. Ennui. Son terrain réflexif est vaste. L’essai promet de déjouer les commentateurs criards — les amateurs comme les professionnels — en faisant un peu moins de bruit qu’eux.

Prendre le temps de réfléchir, c’est aussi ce que va chercher à faire Maxime Catellier, poète, romancier et essayiste, dans Le temps présent (Boréal), à paraître en février. Comment ? En laissant son esprit et ses pensées se promener entre Montréal et Rimouski, entre la ruralité et les Maritimes, entre la délicatesse de l’instant et la crispation de certains présents pour mieux saisir les contours de son univers.

L’homme s’inquiète du contrôle passif des masses, des relations humaines distantes, de l’aseptisation de nos environnements qui changent subtilement notre rapport aux autres et au monde, au passé à l’avenir, aux migrations, à la pauvreté. C’est le récit d’un espoir en somme qui cultive toutefois la pensée comme une forme d’exil.

Prendre le temps de saisir les turbulences de notre temps, c’est aussi ce que propose de faire Gilles Voyer dans Gabriel et le philosophe (Fides), qui sort ce mois-ci. En 24 lettres, « adressées à Gabriel, un jeune adulte tourmenté venu frapper à sa porte », l’homme, directeur des services professionnels et hospitaliers à l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, fait un pied de nez aux raccourcis qui cimentent les réflexions du moment pour prendre le temps de lui parler de la normalité, de l’amour, du bonheur, de l’éthique, de Dieu, de l’art, de la santé, d’autonomie, d’accommodements, d’idéologie ou de fin de vie.

Une manière comme une autre d’apprivoiser la sinuosité des chemins où l’humain circule en cherchant trop souvent une topographie linéaire forcément illusoire.

Rodolphe Lemieux


Photo: Domaine public Rodolphe Lemieux a tissé le premier lien diplomatique Canada-Japon.

La fascination pour le Japon ne date pas de vendredi dernier et de la sortie d’un énième épisode dans une interminable série de mangas ! Si le Canada s’est rapproché du pays du Soleil levant, c’est en partie grâce au diplomate canadien Rodolphe Lemieux, qui, en 1907, à la demande de Wilfrid Laurier, est allé tisser le premier lien diplomatique avec cette société singulière. Dans Un diplomate à la découverte du Japon (Septentrion), René Castonguay va laisser en mars prochain ce premier contact se raconter lui-même en passant par les écrits et les récits de ce bourgeois canadien confronté à un exotisme qu’il ne soupçonnait pas.

Maxime Olivier Moutier


Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Maxime Olivier Moutier manie l'humou et la lucidité sur le monde.

Il n’est pas seulement capable d’intensité dans la torture de ses introspections. Le romancier manie aussi l’humour, la lucidité, le regard éclairé sur le monde et les choses, et c’est ce que devrait mettre en lumière L’inextinguible (Hamac) en février prochain. À l’origine, cette série d’entretiens menée par Paula Singer avec l’auteur de Risible et noir (1997), Rita tout court (2013) et Journal d’un étudiant en histoire de l’art (2015) devait alimenter le travail universitaire d’une étudiante fascinée par l’auteur et psychanalyste. Mais en laissant son feu intérieur s’embraser, en donnant à sa parole la liberté et la franchise qui sont les siennes, l’homme a fait en sorte que le projet aille finalement, à l’image de sa pensée, un peu plus loin.

Roméo Bouchard


Photo: Fabien Deglise Le Devoir Roméo Bouchard, l'infatigable militant pour une ruralité libre

En 2016, l’infatigable militant pour une ruralité libre, l’indigné constant devant l’exploitation, l’abus, le mépris signait Survivre à l’offensive des riches (Écosociété), essai à charge contre les absurdités du présent. Deux ans plus tard, c’est par un croisement entre la littérature et la sociologie qu’il revient dans Gens du pays (Écosociété), à paraître en mai, « ouvrage très humain », dit-il, qui dresse le portrait d’une vingtaine de personnages de son village d’adoption, Saint-Germain-de-Kamouraska, qu’il habite depuis 42 ans. Dépeuplement des régions, métamorphose d’un village sous l’influence des néoruraux, tensions et solidarité doivent habiter ce texte qu’il conçoit comme un cadeau à son village qui fête cette année ses 125 ans.
 

Russell Williams

 

Photo: Nathan Denette La Presse canadienne Un colonel de l'armée canadienne, honoré et adulé, a dévoilé la pire face de son humanité.

C’est toute l’horreur d’un colonel de l’armée canadienne, honoré, adulé par son environnement, et qui en 2010 a dévoilé la pire face de son humanité, celle du monstre de Tweed — petite ville de l’Ontario —, celle du violeur, du tueur, du prédateur qu’il a été pendant des années avant de tomber sous le poids de ses propres confessions. N’était-il qu’un esprit malade ? Un cas isolé ? Ou la conséquence d’une construction sociale de l’agression masculine et de la masculinité par les agents de l’État ? L’essayiste Émilie Beauchesne sonde ces questions en mars dans Permis de tuer ? Masculinité, culture du viol et armée (M éditeur).

La main invisible

Pour une main invisible, celle qui influence les marchés, selon Adam Smith, disons qu’elle se fait apparente un peu partout, et pas seulement dans le monde des finances et des affaires. Le dogme, établi au XVIIIe siècle par l’économiste écossais, n’en finit plus de structurer nos sociétés, de nourrir l’individualisme, de justifier le laisser-faire et de nous bercer dans l’illusion d’un bien commun défendu par le capitalisme. Dans Manipulés (Fides), Thierry Pauchant, qui dirige la Chaire en management éthique des organisations à HEC, redécouvre et revisite l’œuvre de Smith pour en comprendre les nombreux détournements mis au service sans doute de nos aveuglements et de nos asservissements.

Les apothicaires

C’est la fatalité du temps qui passe : derrière le tube d’onguent, la boîte d’antibiotiques, le sirop qui décongestionne ou la crème qui aseptise, les hommes et les femmes qui, de la préhistoire à aujourd’hui, ont fait ces découvertes qui soignent ou qui sauvent ont depuis longtemps disparu. Curieuses histoires d’apothicaires (Septentrion), de Gilles Barbeau, ancien doyen de la Faculté de pharmacie de l’Université Laval, va chercher ces oublis pour les ramener au bon souvenir du présent en mars prochain, et ce, en revenant sur les circonstances, sur les individus, sur les anecdotes qui forgent plusieurs grandes découvertes de la pharmacologie, une science exacte qui est aussi le fruit des hasards, des accidents et des innovations par l’erreur.

À surveiller aussi

En janvier

Robert Dion, Des fictions sans fiction ou le partage du réel
(PUM). Quelles sont les modalités du nouveau réalisme de la littérature contemporaine qui, dans l’esprit d’un temps habité par les reality shows et les confessions en ligne, cherche à atteindre une vérité ? Le professeur de littérature pose ici la question.

En février

Robert Lévesque, Décadrages (Boréal). Soixante textes courts pour savourer la plume du redoutable critique, posée ici sur les films et les cinéastes qui l’ont construit au fil des ans.

Raymond Ouimet, Tuxedo Kid (Septentrion). Léo-Rhéal Bertrand était un beau bonhomme, mais aussi un psychopathe manipulateur qu’il a été dangereux de fréquenter. Son destin sombre est éclairé dans cette enquête qui expose la beauté du diable, de 1930 aux années 1990.


En mars
 

Paul Cliche, Parcours politique (Varia). Le combat et l’engagement social ont balisé sans relâche la trajectoire singulière de ce militant et politicien qui se raconte et qui raconte l’histoire de la gauche au Québec dans ce récit autobiographique.

Geneviève Morand et Nathalie-Ann Roy, Libérer la colère (Remue-ménage). Après la libération de la parole des femmes sur les agressions et la violence sexuelles, ce livre cherche l’apaisement en libérant la colère.

Manuelle Alix-Surprenant et Renaud Vinet-Houle, La couleur de l’adoption (Alias). L’adoption internationale a de nombreux visages, qui eux changent celui de l’identité québécoise. En portraits, en rencontres et en textes, cet essai cherche à en témoigner.


En avril
 

Francis Dupuis-Déri, Des hommes en crise (Remue-Ménage). L’émancipation des femmes n’est pas à l’origine du désarroi des hommes, expose l’auteur dans cette autopsie critique du discours de la crise de la masculinité.

Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada (Boréal). Un retour sur les débats intellectuels qui ont accompagné la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme il y a 50 ans. Un essai fouillé pour saisir le chemin parcouru depuis.

Julia Posca, Le manifeste des parvenus (Lux). Entre satire et analyse, la sociologue passe au crible le discours décomplexé de l’élite québécoise au pouvoir qui rêve d’un Québéc fait principalement de rentiers et de patrons. Une utopie pécuniaire sondée dans son absurdité, mais surtout ses nombreuses contradictions.


En mai

Normand Baillargeon, L’arche de Socrate (M éditeur). Le chat n’est pas bon qu’à émouvoir et à divertir. Il peut aussi faire réfléchir sur la condition humaine, va-t-on découvrir dans ce « petit bestiaire philosophique ».



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