Gérard Depardieu exhibe son esprit libre dans un recueil de pensées

Le style de Depardieu est vocal. Entre la confession et le pamphlet.
Photo: Bernard Langlois Agence France-Presse Le style de Depardieu est vocal. Entre la confession et le pamphlet.


« Aujourd’hui, c’est l’information qui règne. Avec toutes ces chaînes en continu, ces nouveaux moyens de communication, les informations débarquent en boucle. On dirait une armée conquérante dans un roman de science-fiction, venue coloniser nos espaces pour en faire des dépotoirs. Elle coupe tous les chemins qui pourraient nous ramener à nous-mêmes. »

On le lit et on l’entend. La tonalité basse de sa voix rocailleuse, avec en prime, par moments, les souffles profonds et lents qu’il installe parfois dans les pauses de sa parole, comme marqueurs de l’affliction que le présent semble lui inspirer.

L’esprit libre, le parler franc, le regard parfois lucide, jamais cynique, sur la bêtise humaine : tout est là, dans ce recueil de pensées de Gérard Depardieu, monstre sacré du cinéma français, qui dévoile son vrai visage dans Monstre (Cherche midi). Il y évoque son enfance, ses amitiés, le cinéma, le poids de l’époque sur ces larges épaules… L’ensemble a des allures de monologue qu’il aurait livré, assis, torse nu à la table d’une cuisine rustique, entre un verre de Noble Joué et une assiette de cochonnailles. Le style est vocal. Entre la confession et le pamphlet.

« On parle de harcèlement sexuel, mais tout est devenu harcèlement — la politique, les médias, la société, cette information lancinante. Ça parle trop, écrit-il. Trop de mots pour être honnête. C’est vraiment la persécution. Pour ne pas dire l’occupation. » Et il ajoute : « À force de recevoir ces coups venus d’ailleurs, la santé mentale est atteinte, on finirait presque par se résumer à la merde que l’on fait le matin. »

Gérard Depardieu fait son Gérard Depardieu, un animal sauvage et libre qui depuis des lunes profite de sa notoriété pour cultiver son intransigeance. Un humain sympathique aussi qui, sous la peau de bête dans laquelle il se drape depuis toujours, cache des fêlures. « Je ne me laisse saisir ni par la douleur ni par la mort, écrit-il. À mon âge, et dans mon état, si je m’écoutais, je serais tout le temps à l’hôpital. Non pas que ma santé soit mauvaise, mais je sens quand même le temps qui passe, avec mes douleurs au genou, mes pontages, mes respirations plus courtes. »

« Moi, je suis intact, et ça m’est égal », a écrit en 1873 Arthur Rimbaud dans Mauvais sang, une des pièces poétiques qui composent ses Illuminations. L’affirmation, énigmatique à souhait, sied parfaitement à ce Depardieu qui laisse le territoire de ses phrases, ses aphorismes, sa poésie saisir autant les faux-culs du présent, la mémoire « du Dédé », son père, celle de son fils, Guillaume, à qui il demande pardon, que la « monstruosité » du cinéma italien, celui des Risi, Monicelli, Scola, Fellini, Pasolini, Ferrari qu’il a côtoyés. Ce cinéma, dit-il, est monstrueux, parce qu’humain.

Voilà qui résume un genre, une époque, tout comme les racines de la pensée de l’homme absolu qui, dans ces pages, parle.

Gérard Depardieu et…

Le secret

« C’est une belle chose que le secret. Une belle chose de plus en plus difficile à tenir. Tout est dit, tout se sait. Il n’y a plus beaucoup d’ombre. Les gens ont de moins en moins de secrets. Eux-mêmes se chargent maintenant de tout mettre en lumière sur leurs pages Facebook, sur les réseaux sociaux. Toute cette technologie est sans doute très intéressante, même si pour l’instant elle favorise plutôt tout ce qui nous empêche d’être. »

L’honnêteté

« C’est toujours l’homme qui fait l’histoire et moi, je n’ai pas confiance en l’homme. La seule confiance que l’on peut faire, c’est à un trait chez Picasso, un coup de pinceau chez Van Gogh, quelques notes chez Mozart, parce que là, il n’y a pas de mensonge possible. C’est d’une honnêteté terrible. »

Les apparences

« Ce qui me dérange le plus chez certains artistes, acteurs, chanteurs ou politiques, c’est leur calcul permanent. On se mutile tellement en calculant sans cesse que c’est comme si on était déjà à moitié mort. J’ai l’impression que ceux qui font tout en fonction de leur effet, de leur image, sont pétrifiés sur un socle, avec un numéro dans le dos. »

La différence

« Ces gens de la communication essaient de faire de nous un troupeau sans âme. […] Ce sont les premiers à nous parler du droit à la différence, mais la différence, ce n’est pas un droit, c’est un devoir. Un devoir qu’ils nous empêchent d’accomplir. Tu veux aller à la rencontre de qui, si on est tous les mêmes ? »

Le faux

« Je n’aime pas ce bien-pensant vers lequel on avance. Partout, on entend que le bien, c’est nous et que le mal, c’est l’autre. […] Il devient de plus en plus compromettant d’être soi-même, de ne pas être comme tout le monde. Alors on cherche à se faire passer pour quelqu’un qu’on n’est pas, celui que la politique, les médias, les réseaux sociaux veulent faire de nous. »

Le passé

« Le passé, c’est un bagage qui nous scie l’épaule. Trop lourd à porter. Si l’on s’arrête sur un traumatisme, une rupture, un deuil, un obstacle qu’on n’arrive pas à franchir, le temps se fige comme une feuille de calendrier jaunie. Nos désirs se fanent et l’envie nous quitte. »

Internet

« Aujourd’hui, on nous vend comme moyen ultime de connaissance et de communication l’Internet et toutes ces nouvelles technologies, qui sont pleines de fautes d’orthographe, pleines de fautes de réalité, pleines de fautes de vie. »

L’art

« L’art, je ne veux même plus en parler. C’est devenu une Bourse pour hommes d’affaires incultes qui veulent s’acheter une âme. […] On n’a plus de galeries mais des coffres-forts. […] L’art est parasité par l’argent comme la religion est parasitée par la politique. »

Stefan Zweig

« Stefan Zweig. Une âme magnifique, d’une élégance extrême, avec tous les scrupules de la délicatesse. Qui du jour au lendemain, s’est retrouvée en pleine barbarie. […] Il a été l’un des premiers à entendre ce monde qui se mettait à hurler et auquel on ne pouvait apporter aucune consolation, aucune réponse, tant celles-ci étaient inaudibles face à la bête. »

Monstre

★★★★

Gérard Depardieu, Cherche midi, Paris, 2017, 212 pages



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