«Je ne sais pas penser ma mort»: dans l’inconfort d’une anticonformiste


Mais ce n’est pas un roman ! Ce n’est pas un essai non plus. C’est un meurtre que ce livre intitulé Je ne sais pas penser ma mort, le deuxième signé par Marisol Drouin. Un meurtre froid, calculé, du roman Fleuve malin sur lequel travaillait l’auteure de Quai 31 (2011), jusqu’en juillet 2016, date de sa condamnation, de son étouffement à deux mains, de son éradication à grand coup de clavier, sous le flot de mots, de souvenirs, d’images fortes et parfois torturées posés dans ce journal écrit en cinq mois depuis un atelier d’écriture de Montréal.
« J’écris ce texte, j’enterre le roman, expose-t-elle. Il crie encore un peu, mais à peine. Il surgira de nouveau par secousses dans les textes à venir. Des traces de lui. Je le sais. Je le démasquerai, le dénoncerai, le piégerai, le ferai retourner dans l’oubli. »
Coupable de « romanticide », Marisol Drouin l’est. Elle l’admet. Elle assume. Elle le crie même. Et c’est ce qui donne toute la fulgurance à cette introspection, assemblage de fragments d’une vie, d’un passé, d’une angoisse qui, finalement, circonscrit les contours de la résistance de l’auteur face au monde, face aux conformismes, face à sa condition, et ce, en se plaçant en rupture face à sa création.
« J’y pense, ce que j’écris ici, présentement, est presque un acte de terrorisme à l’encontre de l’économie actuelle, de la société marchande où l’on vend et achète du temps, où le temps est une matière première, écrit-elle. C’est presque obscène prendre tout ce temps pour lire et pour écrire. »
Les phrases s’invitent en rafale, parfois violente, avec un débit faisant varier sa tourmente, pour découper à l’impact l’adolescence de l’auteure dans un village de la région de Charlevoix, sa découverte des hommes, du sexe, ou encore la séparation de ses parents, sa maternité, sa maladie, un cancer, qui, avec l’écriture, l’« ont exclue du monde ». Les deux choses l’ont aussi rapprochée de la mort qui plane au-dessus de chaque page, ou presque, sa façon à elle de s’assurer que « plus personne n’en [ait] peur ».
« Il faut la réhabiliter dans ce pays blanc, dans cette société propre. On l’oublie trop souvent. Ici, on est occupés à se dépêtrer dans des toiles d’apparences. Et quand la mort se jette sur nous, on reste comme tout surpris, tout étonné d’être mortel. »
Il y a de la rage dans cet exercice de style, dans cette exploration d’une mémoire constitutive de la singularité de l’auteure, dans ces confessions d’une âme abîmée et inconfortable face à ces diktats sociaux qui appellent à une somme dont elle ne veut pas faire partie. Il y a de l’intimité, de la fragilité, exposés dans une certaine urgence, par un cri du coeur qui passe par la mise à mort d’un projet littéraire pour en faire naître un autre qui célèbre la vie. Et qui le fait en cherchant à déranger, pour finalement, surtout, séduire.
Extrait de « Je ne sais pas penser ma mort »
« La maternité. La maladie. L’écriture. Trois événements qui m’ont exclue du monde. De sa course. J’aime le chiffre trois. Je l’ai toujours aimé. C’est le temps de l’histoire avec son début, son milieu et sa fin. Dans le trois, il y a toutes les relations possibles, les haines et les amours, les collaborations et les guerres. Je vois souvent ma vie sous ce chiffre. J’ai un rythme en trois temps. C’est celui de mon enfance. Nombre imparfait que je connais bien. Je sais y être. J’en connais les mouvements. Trois, je l’ai déjà été avec deux garçons, un été. Trois, c’est mieux. Il y a toujours quelqu’un. Deux, quand l’autre s’en va, il n’y a plus personne ».