La mécanique de la magie au cinéma selon Éric Falardeau

Avec cet essai sur les effets spéciaux au cinéma, Éric Falardeau avoue préférer l’étiquette de vulgarisateur à celle d’historien.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Avec cet essai sur les effets spéciaux au cinéma, Éric Falardeau avoue préférer l’étiquette de vulgarisateur à celle d’historien.

Les maquillages outranciers pour Yvonne Laflamme afin de simuler l’agonie d’Aurore dans La petite Aurore, l’enfant martyre ; la soucoupe volante disco signée Jean-Paul Mousseau dans Le Martien de Noël ; le vol plané de Marc-André Grondin à l’église dans C.R.A.Z.Y. : les films québécois regorgent d’effets visuels, mais la chose, depuis longtemps, demeure un secret (trop) bien gardé. Et ses artisans encore plus.

C’est ce vide qu’a voulu combler le doctorant en communications, écrivain et réalisateur Éric Falardeau dans Une histoire des effets spéciaux au Québec, survol historique passionnant et manière originale de réécrire l’évolution d’un cinéma souvent abordé selon les mêmes balises, dont celles du réalisme documentaire. Pour le commissaire de l’exposition Secrets et illusions – La magie des effets spéciaux présentée à la Cinémathèque québécoise, il s’agissait moins de revisiter cette histoire que de rendre hommage à tous ces gens qui, depuis des décennies, matérialisent les visions des réalisateurs d’ici, sans compter ceux d’ailleurs, de plus en plus nombreux.

Lorsque vient le temps d’écrire une histoire parallèle ou alternative, on se heurte à un vide d’informations ; plein de choses n’ont pas été consignées

Pour Éric Falardeau, sortir des diktats officiels ne fut pas une mince tâche. « Lorsque vient le temps d’écrire une histoire parallèle ou alternative, on se heurte à un vide d’informations ; plein de choses n’ont pas été consignées », déplore celui qui a traversé ce désert au moment de concevoir Secrets et illusions, au début des années 2010. L’idée du livre est venue plus tard, lui permettant d’aborder une foule de films — et d’émissions de télévision, terreau fertile à l’expérimentation — que le discours critique a tendance à négliger.

Enfant de la télé

 

Celui qui préfère l’étiquette de vulgarisateur à celle d’historien (« J’ai la même rigueur, mais aussi une bonhomie, un regard neuf et enthousiaste ») se considère aussi comme un enfant de la télé, celle des années 1980, marquée par le magnétoscope VHS. « Je voyais souvent les mêmes films à répétition, je les connaissais par coeur », se rappelle l’Abitibien de naissance qui affectionnait déjà le cinéma de genre, tout particulièrement l’horreur.

Cette boulimie a aiguisé sa curiosité et élargi son regard. Ainsi, il s’est intéressé avec ferveur à des cinéastes (Jean-Claude Lord, Roger Cantin, etc.) que d’autres ignorent. Ou à des films négligés, comme Rafales, d’André Melançon (immense déploiement technique pour recréer une tempête hivernale), et Screamers, de Christian Duguay, film de science-fiction tourné au Québec où des Québécois concevaient les effets spéciaux, et non des Américains, une première qui allait susciter la confiance des producteurs.

L’approche un peu champ gauche d’Éric Falardeau le conduit même jusqu’à… Battlefield Earth, de Roger Christian, adaptation du livre de L. Ron Hubbard, père de l’Église de Scientologie, mettant en vedette un de ses illustres défenseurs, John Travolta. Un ratage intégral, qui trouve pourtant grâce à ses yeux. « C’est le tournage qui fut un champ de bataille, dit-il en rigolant. En lisant les rapports de production, on comprend que ça ne pouvait pas marcher : les ordinateurs n’étaient pas assez puissants et on fabriquait des miniatures quelques minutes avant de tourner. » Or l’auteur est catégorique : ce film fut un véritable « catalyseur » pour l’industrie québécoise, « et annonçait beaucoup de cinéastes qui marchent aujourd’hui, comme Zack Snyder ».

Les magiciens de l’ombre

Bien plus qu’un savoureux catalogue d’anecdotes sur des films de tous les styles, Une histoire des effets spéciaux au Québec met en lumière le travail minutieux d’une foule de magiciens souvent inconnus du grand public. Car mis à part Daniel Langlois, dont les prouesses dans Tony de Peltrie ont fait sa fortune, plusieurs travaillent dans l’ombre, et Éric Falardeau s’est fait un point d’honneur de braquer sur eux les projecteurs.

Par la même occasion, il célèbre aussi ces grands foyers de créativité que furent l’Office national du film (ONF) et Radio-Canada, « deux endroits où l’on avait les moyens de raconter des histoires et où les employés avaient du temps pour expérimenter, faire des erreurs, et ainsi innover ».

Car des maquettes de la série D’Iberville, où travaillait un jeune Frédéric Back, aux prothèses conçues pour les Bye Bye, en passant par l’utilisation de l’image numérique dans les émissions d’information (une première instaurée sous l’impulsion de Daniel Bertolino dans les années 1980 avec la série Le défi mondial), toutes ces audaces ont cheminé vers le cinéma. Même chose pour l’ONF, dont les films scientifiques, dès les années 1950, regorgent de trouvailles visuelles pour illustrer des concepts abstraits. Des réussites comme Universe, de Colin Low et Roman Kroitor, vont même inspirer Stanley Kubrick pour son 2001 : odyssée de l’espace, qui engagea le narrateur, l’acteur manitobain Douglas Rain, pour la voix de l’ordinateur HAL 9000.

Ce n’est donc pas d’hier que les artisans d’ici jouent dans la cour des grands, et Éric Falardeau a beaucoup d’autres noms à ajouter à la liste.

Extrait

« […] avant les années 1950, les effets spéciaux se font rares. Il est important de comprendre le contexte dans lequel émerge le besoin de techniciens spécialisés en trucages afin de mieux comprendre pourquoi la pratique s’est tellement développée ici. Le poids du réel, si l’on peut s’exprimer ainsi, imprègne notre vision du monde et nos réticences face aux genres cinématographiques qui s’appuyaient sur les effets spéciaux. Ce n’est pas anodin si le prix créé par le gouvernement du Québec en 1980 pour souligner une carrière exceptionnelle en cinéma porte le nom du pionnier du documentaire, religieux de surcroît, Albert Tessier. » Éric Falardeau, «Une histoire des effets spéciaux au Québec»

Une histoire des effets spéciaux au Québec

Éric Falardeau, Éditions Somme toute, Montréal, 2017, 275 pages



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