Le monde par les yeux de Degas, Riopelle, Cassatt et Kahlo

« Depuis la fenêtre de l’omnibus qui roule, les visages des passants apparaissent comme brouillés, donnant à penser au peintre que la vie moderne est une vie en mouvement. » Paris, fin XIXe siècle, Edgar Degas voit la société se transformer. La ville s’agite et devient rapidement une source d’inspiration.
Degas délaisse ses « personnages drapés de tissus ou les scènes de guerres anciennes » et part à la rencontre des gens qui déambulent dans la cité, et ce, avec un regard impressionniste que dévoile l’auteure Samantha Friedman, assistante conservatrice au Musée d’art moderne de New York, dans Ce que voit Degas, voyage dans le temps et dans l’univers graphique du célèbre peintre.
Entre des doubles pages illustrées par Cristina Pieropan et des reproductions des toiles du maître, le lecteur découvre les endroits fréquentés par le peintre et sa façon de retranscrire la réalité. Sa toile intitulée Aux courses retient de sa visite à l’hippodrome non pas la présence de chevaux, envoyés en arrière-plan, mais deux femmes penchées l’une vers l’autre pour partager sans doute quelques confidences.

D’Edgar Degas à Jean-Paul Riopelle en passant par Mary Cassatt et Frida Kahlo, quelques grandes figures de la peinture laissent la singularité de leurs traits traverser le livre jeunesse. Surréalisme, impressionnisme, automatisme, les grands courants de la peinture moderne y convergent pour rappeler que la représentation de la réalité est aussi multiple que les regards humains qui se posent sur elle.
Mary Cassatt, peintre et graveuse américaine, va croiser la route de Degas, dont elle découvre les peintures le nez collé à la vitrine d’une galerie d’art. Elle restera fascinée par ce qu’elle voit et qui répond à sa définition de l’art. Le peintre lui offrira de rejoindre le mouvement des Indépendants. Dans l’album Mary Cassatt, illustré par Gabi Swiatkowska, Barbara Herkert présente cette jeune femme indépendante, acharnée à créer à sa façon, loin des cadres formels. « Mary peignait ce qu’elle voyait. Elle capturait des instants de vie éphémères. Ses longues mains virevoltaient et déposaient sur la toile des touches de couleurs vives et des blancs éblouissants. »
Créations singulières
Alors que l’autodidacte Frida Kahlo expose ses oeuvres à Paris, rencontre Picasso, Miró, Duchamp, son art est très vite comparé à celui des surréalistes. Mais de son vivant, l’artiste mexicaine n’a jamais accepté ce parallèle. Elle peint avant tout pour exprimer sa douleur, sa peine, sa santé fragile, sa réalité, et non du rêve. « Je mets toute ma vie dans mes tableaux », disait-elle, une citation qu’on retrouve dans Moi, c’est Frida Kahlo, deuxième titre signé Sophie Faucher sur la vie de l’artiste.
Le premier opus racontait l’enfance de la jeune femme. Ici, on suit son parcours artistique et amoureux. Depuis l’accident qui l’oblige à garder le lit jusqu’à son divorce d’avec Diego Rivera, en passant par sa vie à New York où elle va se sentir déracinée, Frida est tour à tour amoureuse, peinée, seule. Peindre sera pour elle un exutoire formidable.
Grâce à un texte simple, le parcours de l’artiste se dévoile dans son anticonformisme, notamment lorsqu’elle ne se sent « pas à sa place » au milieu des critiques d’art qui « parlent beaucoup », dit-elle. Les illustrations colorées et vives de Cara Carmina expriment cette joie de vivre qu’incarnait aussi l’artiste. « La vie est faite de mille couleurs. Alors partout, regarde la beauté, chante jusqu’au bout de ton souffle, danse ta joie, aime toujours et encore… Je suis Frida-viva-la-vida », lance-t-elle en fin de piste alors qu’elle a retrouvé l’amour de sa vie.
Plus près de nous, un jour, Jean-Paul Riopelle raconte qu’il s’est mis « à peindre un trou d’eau abandonné par la marée descendante ». « Ça bougeait là-dedans, ça grouillait. Il y avait des poissons, des coquillages, des remous. Mon tableau était plein, empâté. Quand je l’ai montré à des amis, ils m’ont dit : “Ah ! mais c’est non figuratif !” Pas du tout, ai-je répondu, j’ai peint exactement ce que j’ai vu. » Tout comme Kahlo, Dugas et Cassett, Riopelle peignait et sculptait pour raconter le monde autour de lui, de la façon dont il le voyait.
Mais « comment une peinture peut-elle représenter un trou d’eau et des poisons si l’on n’y reconnaît ni eau ni poissons » ? se demande Marie Barguirdjian dans Riopelle. L'artiste magicien. L’artiste québécois est unique par la façon qu’il avait de peindre à coups de couteau, de sculpter, de dessiner des oies sauvages « en déplaçant son crayon si rapidement qu’au premier regard, [on] a l’impression de voir des signes voler » !
Alliant photos d’archives, peintures, sculptures, citations de l’artiste, jeux questionnaires, l’ouvrage de Marie Barguirdjian ouvre une fenêtre toute grande sur la vie artistique qui, pour Riopelle comme pour tous les autres, est faite de cette sensibilité qui conduit sur des chemins moins convenus et surtout moins battus.