Le roman canadien-français dont vous êtes le héros

Jean-Philippe Chabot signe un premier roman après avoir publié le recueil de poèmes «Comment finissent les arbres», plus tôt cette année.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Jean-Philippe Chabot signe un premier roman après avoir publié le recueil de poèmes «Comment finissent les arbres», plus tôt cette année.

«C’était un Jacques et un bon jack et il devint un lumberjack. Si ce n’était pas une histoire vraie, on dirait que c’était pensé d’avance », écrit Jean-Philippe Chabot dans un bel exemple de narration spirituelle, nous rappelant sans cesse qu’elle en est une, traversant Le livre de bois.

Placer en 2017 sur une des premières pages de son second livre la mention « roman canadien-français » suppose une certaine dose d’(auto)dérision, ou d’esprit de contradiction. Cadenassé dans le placard de notre histoire depuis plusieurs décennies, l’adjectif ne surgit plus que dans les chroniques de quelques penseurs chagrins, toujours prompts à glorifier le courageux passé de nos colons. Sans carrément verser dans l’ironie, l’auteur du livre de poèmes Comment finissent les arbres (Le Noroît, 2017) se l’approprie pour sa part sur le ton de la subtile subversion, en jonglant avec les codes d’une littérature du terroir qui souhaiterait « édifier le campagnard dans le droit sens de sa fierté ».

« Il s’était pris à penser qu’il serait le plus grand joueur de hockey du Canada français. […] Il s’était vu devenir premier ministre du Canada français. » Mais « enfin il abandonna de rêver et devint un homme à peu près en même temps. Il avancerait, résigné, avec le sentiment d’une vie écrite d’avance », explique-t-on au sujet de ce Jacques malchanceux, qui, en tentant d’enterrer un veau abattu par inadvertance, exhumera du sol un livre de bois dont chacune des pages racontera son existence à mesure qu’elle se déplie, « un livre qui produisait en quelque sorte le mouvement de sa vie ».

Un livre dont Jack est le héros, s’écrivant à une époque où ce peuple en comptait peu.

L’influence d’un livre

Roman à haute teneur allégorique, Le livre de bois conjugue ainsi étonnamment pastiche et effort de mémoire. « Jacques Côté jouissait de se voir là, dans son beau grand livre, et il ne s’en lassait guère, car nul autre homme qu’il connaissait ne s’était retrouvé au centre d’un livre », écrit Jean-Philippe Chabot dans un passage participant du deuxième mouvement, en évoquant la confiance qu’un peuple peut gagner en se reconnaissant dans le miroir de la fiction. La littérature québécoise est un arbre jeune, étant parvenu contre toute attente à se tenir bien droit, rappelle-t-il ainsi.

Avec ses multiples clins d’oeil littéraires, le cofondateur de la revue Fermaille (créée pendant le Printemps érable) attire constamment l’attention sur les ficelles de ce conte à l’écriture dense et fougueuse, mise au service d’envolées au travers desquelles une verve authentiquement québécoise, héritière de celle du doc Ferron, brille sans s’excuser d’exister, et sans non plus verser dans le joual.

Malgré un cousinage apparent sur le plan de la langue, ce premier roman refuse donc l’espoir façon Walt Disney qu’aspire à éveiller un Fred Pellerin, et préfère mettre le merveilleux au service d’une critique de l’immobilisme dans lequel les livres finissent par confire certains intellectuels.

« On sortait le bois du bois avec des chevaux. Ensuite, l’art c’était de savoir corder. Corder, c’était maîtriser le temps. Et maîtriser le temps, c’est l’essence de l’art, c’est-à-dire savoir tromper », aura-t-on appris en refermant ce livre de bois qui se plaît à charrier son lecteur, mais pas au point de mentir sur ses intentions initiales : un roman canadien-français ne pourrait comme de raison se conclure autrement que par un mariage ou une tragédie.

Le livre de bois

★★★ 1/2

Jean-Philippe Chabot, Le Quartanier, Montréal, 2017, 144 pages

À voir en vidéo