La vengeance anonyme selon J. D. Kurtness

Même si la presse québécoise a peu l’occasion de parler de tueurs en série, on en retrouve plusieurs dans la littérature « noire » d’ici. En fait, un peu tout le monde — de Patrick Senécal à Louise Penny et de Benoît Bouthillette à Martin Michaud — a mis en scène un« monstre » prenant plaisir ou se sentant le devoir d’éliminer certains de ses semblables. Et c’est le défi d’avoir à donner corps à un personnage hors du commun qui a séduit Julie Kurtness.
On remarquera tout de suite que ce tout premier roman est écrit au « je », ce qui donne dès le départ un caractère intime au récit. Le lecteur sera frappé par cette écriture souvent lumineuse tout autant que par la vision du monde mise en relief. Tout tourne ici autour d’une jeune femme dont on ne saura jamais le nom. Discrète, anonyme malgré son aspect presque angélique, on la voit prendre tous les moyens du monde pour ne pas se faire remarquer. Et puis voilà qu’au détour d’une remarque caustique sur la bêtise du monde, on apprend qu’elle est traductrice à la chaîne Réalité : la liste des émissions sur lesquelles elle travaille est d’une drôlerie sans nom. Mais, aussi drôle soit-elle, Mademoiselle X est une tueuse en série.

Tout a commencé presque accidentellement alors qu’elle avait 12 ans, mais, soyez rassuré, ce petit livre déroutant se terminera sur un bilan beaucoup plus lourd. C’est justement que notre « amie » si discrète ne peut pas supporter la présence de ceux qui dénaturent le monde d’une façon ou d’une autre. Avant que ce qu’elle perçoit comme une sorte de Système de plus en plus anonyme et de plus en plus bête ne vienne broyer définitivement la beauté du monde, elle « fait le ménage » autour d’elle en éliminant les plus coupables. Les violents, les violeurs, les pollueurs, les profiteurs et les hypocrites n’ont qu’à bien se tenir ; surtout que le catalogue des choses qui l’irrite est infini.
Tout cela fait de Mademoiselle X un personnage étrange et particulièrement réussi ; on se surprendra même à la trouver sympathique et à partager parfois sa lecture du monde. Jusqu’à un certain point, bien sûr… et beaucoup moins quand les choses dérapent à la toute fin, lorsque l’auteure se sent obligée de passer à une vitesse supérieure qui ne colle pas vraiment à la finesse de son personnage et que les cadavres s’amoncellent.
Il est rare qu’un premier roman soit aussi réussi. Tout n’y est pas parfait, évidemment, mais cette écriture ciselée, ce personnage hors norme et cet humour si particulier risquent de séduire le lecteur le plus difficile. Surtout si on oublie les dix dernières pages, qui semblent n’avoir été écrites que pour mettre fin au récit. Retenons du moins que Mademoiselle X respire toujours le même air que nous, qu’on ne soupçonne même pas son existence… et que l’on risque de la voir apparaître au détour d’un prochain livre.