Le cinquième épisode de «Millénium» replonge dans l’enfance trouble de Lisbeth Salander

Les deux Millénium de David Lagercrantz (sur la photo) sont beaucoup mieux écrits que les trois livres de feu Stieg Larsson.
Photo: Jonathan Nackstrand Agence France-Presse Les deux Millénium de David Lagercrantz (sur la photo) sont beaucoup mieux écrits que les trois livres de feu Stieg Larsson.

En 2015, tout le monde a crié au scandale quand est parue la suite de Millénium… plus de dix ans après la mort de son auteur, Stieg Larsson. Avant même la sortie du livre signé par David Lagercrantz (Ce qui ne me tue pas, en français chez Actes Sud), on ne parlait que de « basse manoeuvre commerciale » et d’une « déplorable initiative »… mais les commentaires se sont tus brusquement quand on s’est mis à lire. Et c’est sans aucun doute ce qui risque de se produire encore une fois avec ce cinquième Millénium, La fille qui rendait coup pour coup (chez le même éditeur), dont la sortie « mondiale » avait lieu jeudi.

Mais même là, au-delà du succès littéraire et de l’acquittement des droits de suite, certaines questions intéressantes se posent encore aujourd’hui. De quel droit peut-on se permettre de faire revivre l’histoire d’un auteur décédé ? À qui appartient un personnage ? Et finalement, le talent excuse-t-il tout ?

Une enfance désastreuse

 

Disons d’abord une chose qui ne se dit pas vraiment : les deux Millénium — du nom du magazine d’enquête dirigé par Mikael Blomkvist ; les admirateurs de la série le savent déjà — de David Lagercrantz sont beaucoup mieux écrits que les trois livres de Stieg Larsson. Lagercrantz est un écrivain majeur, son Indécence manifeste, sur la vie d’Alan Turing — publié en 2016, toujours chez Actes Sud —, en est la preuve la plus manifeste.

L’histoire qu’il nous raconte ici est tout aussi complexe et l’intrigue aussi labyrinthique que dans la trilogie originale, mais, et c’est normal, les personnages sont beaucoup plus développés : Lagercrantz a construit sur du solide et il a extrapolé brillamment. En dévorant ce récit captivant qui nous fait plonger encore plus creux dans le désastre particulièrement violent que fut l’enfance de Lisbeth Salander, on aura ainsi l’impression de mener, pas à pas presque, l’enquête avec Lisbeth et Blomkvist.

Mais c’est surtout le personnage de Lisbeth qui prend ici des proportions étonnantes. Comme si, de son rôle de critique et de mauvaise conscience du monde moderne — qu’elle jouait ma foi fort bien dans les épisodes précédents —, elle accédait ici à une tout autre dimension, presque mythique, de justicière en chef. C’est à travers ses yeux, toujours, bien plus encore qu’à travers l’enquête que mène Blomkvist, que l’on perçoit le mieux l’injustice profonde du monde.

Tout s’amorce d’ailleurs au centre de détention de Foldberga où Lisbeth purge sans protester une courte peine à la suite du procès retentissant sur lequel se terminait le chapitre précédent de la série. Hors du monde, dans sa bulle comme à l’habitude, on la voit travailler dans sa cellule sur le lien entre les mathématiques quantiques et la théorie de la relativité. Si on ne le savait pas encore, on comprendra que Lisbeth Salander est un esprit bien particulier. Deux événements viennent toutefois troubler ses calculs : une visite d’abord, qui mènera à la mort d’une victime innocente, puis une détenue maltraitée dans une cellule voisine.

Des sujets brûlants

 

On ne vous racontera pas ici l’intrigue de cette cinquième mouture de Millénium, mais sachez qu’elle est profondément actuelle. Par l’entremise de Blomkvist et de Lisbeth, Lagercrantz touche à des sujets aussi fondamentaux que l’injustice et l’impunité qui semble couvrir partout les véritables coupables, le fondamentalisme religieux et l’hypocrisie sociale. Il aborde aussi — on peut penser que c’est sa fascination pour les mathématiques qui l’y mène — des théories sociales pseudo-scientifiques et fumeuses qui ont bousillé la vie de milliers d’enfants un peu partout à travers le monde. En plus de vous tenir sur le bout de votre fauteuil, La fille qui rendait coup pour coup vous fera aussi vous interroger sur une série d’idées admises…

Faut-il donc se scandaliser du fait que la célèbre trilogie mettant en scène le journaliste Mikael Blomkvist et l’indescriptible Lisbeth Salander ait mené jusque-là ? S’étonne-t-on encore de voir des écrivains ou des cinéastes reprendre les célèbres personnages d’Arthur Conan Doyle ou d’Agatha Christie ? Ou même de voir des remake atteindre, et même dépasser, le niveau de certains originaux ? Et au moment où les médias sont partout en crise, faut-il s’offusquer qu’un éditeur choisisse aussi, parfois, de rentabiliser, avec talent, un investissement ?

Le talent qui n’excuse pas tout, c’est bien évident, mais qui se fait souvent si consensuel…

Millénium 5: La fille qui rendait coup pour coup

David Lagercrantz, traduit du suédois par Hege Roel-Rousson, Actes Sud – Actes Noirs, Arles, 2017, 399 pages

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