La crise et ses humiliations permanentes

La crise économique grecque ne fait pratiquement plus les nouvelles, mais elle n’en continue pas moins. Le 15 juin dernier, la Grèce a obtenu de ses créanciers un nouveau prêt pour continuer à payer sa dette. En échange, Athènes a accepté de nouvelles réformes des retraites et de l’impôt sur le revenu, qui vont s’appliquer à partir de 2019 à une population déjà accablée par sept ans d’austérité.
Les souffrances causées par la crise ont commencé à sortir des pages économiques pour gagner celles de la littérature. Après les auteurs Pétros Márkaris et Vassilis Alexakis, le journaliste et écrivain Chrìstos Ikonòmou vient de publier un troisième recueil de nouvelles. Le salut viendra de la mer plante avec beaucoup de sensibilité le décor de cette Grèce exsangue, si loin des cartes postales.
Les cinq nouvelles qui composent le recueil mettent toutes en scène des hommes et des femmes qui ont fui la pauvreté des villes pour tenter de se bâtir une nouvelle vie dans une île fictive de la mer Égée. Ils ont des rêves de renouveau, veulent fonder une coopérative, ouvrir une ouzérie pas chère ou faire pousser du bio. Mais tous, Tàssos, Làzaros, Stàvros, vont se casser les dents sur la dure réalité de cette île où ils ne sont pas les bienvenus, indésirables réfugiés intérieurs qu’on appelle avec mépris « ceux d’aut’ part ». Il n’y aura pas de salut.
Humiliés
La crise économique est centrale, mais c’est le sous-thème de l’humiliation qui domine. Ainsi Tàssos, qui voulait fonder une coopérative indépendante, est battu par des mafieux de l’île et se retrouve une semaine à l’hôpital. Lors d’un affrontement subséquent, Tàssos et l’un des mafieux se tiennent en joue, chacun avec son pistolet. Un ami de Tàssos, témoin de la scène, raconte : « On s’attendait, nous les hommes, à ce que Tàssos appuie le premier sur la détente. […] On le voulait. […] On attendait qu’il apporte une fin juste, héroïque, digne d’un homme » à l’injustice et à l’humiliation. Peut-on voir là un parallèle avec la situation de la Grèce devant ses créanciers, quand 61 % de la population a voté contre les conditions de prêts imposées en 2015 ? Mais Tàssos a baissé le bras (et Athènes a accepté les conditions des créanciers). Et lorsque le mafieux lui a envoyé une baffe, Tàssos n’a pas réagi… Et cette nuit-là, il s’est suicidé.
Pessimisme contre idéalisme
La Grèce est en partie l’artisan de son propre malheur, suggère l’auteur dans une autre nouvelle, où Làzaros s’adresse mentalement à son fils disparu et qu’il cherche en vain. Il lui dit que l’île a reçu plein de coups de poignard, des Sarrasins, des Turcs, des Italiens, des Allemands. « Mais les plus profonds, ceux qui font le plus mal, nous nous les sommes donnés nous-mêmes. Car le poignard du frère tue deux fois mieux que celui de l’étranger. »
Cette nouvelle particulièrement douloureuse montre un Làzaros repentant face à un fils qu’il a obligé à travailler pour un mafieux qui l’a insulté et humilié. Souhaitant son retour, il promet de ne plus lui dire quoi faire : «J e me suis trompé […]. Viens, mon garçon, et fais comme tu le sens. Je fais le serment d’arrêter mes remarques. » Faillite d’une génération devant ses enfants.
Le recueil de nouvelles est pessimiste. Cependant, on note aussi en filigrane un excès d’idéalisme qui en affaiblit la charge critique. Les personnages ont des rêves un peu romantiques : « ils cultiveraient rien que du bio, pour n’avoir plus besoin [de ceux] qui leur refilaient de l’ail chinois et des tomates hollandaises », une position antimondialisation un peu simple. L’oeuvre tombe parfois dans les stéréotypes : Stàvros n’aime pas l’oncle de sa femme, qui travaille en Allemagne : « sang grec, cervelle allemande », lui reproche-t-il schématiquement.
Malgré un style répétitif qui agace par moments, ce recueil montre bien le désespoir vécu en Grèce sans être tout à fait à la hauteur de la quasi-tragédie qui se déroule là-bas.