Steve Laflamme, le Québec, un tueur en série et le monde de la lutte

Sans s'en rendre compte, le lecteur se trouve plongé en apnée dans un univers plus sombre que sombre.
Au fil des années, le tueur en série est devenu un personnage central du polar ; chaque rentrée apporte au moins trois ou quatre nouvelles parutions mettant en scène un déséquilibré se vautrant dans l’horreur à répétition, une victime après l’autre, ad nauseam.
En général, on découvre dans les soubassements du récit que cela s’explique par un traumatisme de base remontant à l’enfance : parents abusifs, violents ou absents, « amis intrusifs »… Tout peut contribuer au comportement déviant. Surtout lorsqu’il s’y mêle des connotations sexuelles.

Le nouveau venu Steve Laflamme — il enseigne la littérature au cégep de Sainte-Foy — semble bien connaître les canons du genre ; du moins sait-il en exploiter de façon étonnante toutes les facettes dans ce sombre récit. L’histoire qu’il nous raconte prend racine dans ce mal-être quotidien fait de petits malheurs divers tissés un à un depuis l’enfance. Mais il réussit à conjuguer tout cela à partir d’un élément unique et précieux : une écriture percutante qui fait rayonner une sorte de lumière noire sur le monde.
Et sans que l’on s’en rende vraiment compte, voilà le lecteur plongé en apnée dans un univers plus sombre que sombre…
Apogée d’horreur
L’inspecteur Xavier Martel, de l’Unité des crimes majeurs de la SQ, est chargé de mettre la main sur un tueur en série que les médias ont vite surnommé « le Chercheur d’âme ». Le meurtrier, qui s’attaque maladivement à de jeunes femmes, leur découpe littéralement le visage… ce qui donne lieu à des passages sanguinolents tels qu’on en a rarement écrit ici, aussi bien vous prévenir tout de suite. Martel parviendra à lui mettre la main dessus au bout de 500 pages — parfois violentes, « gore » même — mais tout aussi souvent lumineuses, soulignant le talent indéniable de l’auteur.
Sous-histoires
L’entreprise sera tout au long douloureuse, même si, en filigrane, on aura droit à une histoire de la lutte en Amérique du Nord depuis le début du XXe siècle. Pourquoi ce « théâtre populaire » de la lutte professionnelle ? Parce que le tueur — et son mentor qu’on verra apparaître une fois qu’on croira tout réglé — en est issu et que tout ce que l’on raconte ici s’appuie sur le côté factice et les intrigues qui ont toujours façonné ce « sport » plutôt mal vu.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule histoire parallèle que l’on retrouvera dans cette espèce de magma incandescent que l’on a du mal à saisir dans son ensemble. Mais le récit colle à la vie grâce aux personnages étonnants qui en jalonnent le cours… bien au-delà du milieu minable qu’il met en relief. Il y a surtout que, autant du côté des policiers que de celui des criminels, on trouve une galerie de personnages tout aussi déviants les uns que les autres, l’écorché vif qu’est Xavier Martel avant même tous les autres.
Bref, il est rare de rencontrer une écriture aussi affirmée dans un premier roman, et cet exercice iconoclaste laisse présager de grandes choses.